On célébrait Toros Can spécialiste du répertoire contemporain (Ligeti, Hindemith, George Crumb), pourtant c’est à un compositeur du XVIIe siècle que Toros Can consacre son quatrième enregistrement pour l’empreinte digitale. Une grande première puisque les œuvres pour clavecin d’Henry Purcell n’ont quasiment jamais été entendues au piano. On attend le meilleur de cette idée originale qui tire sa source au cœur des “années anglaises” du pianiste.
Toros Can partit en effet pour Londres à l’âge de 19 ans. Ce pianiste dont Jacques Drillon écrivait à la parution de son premier disque consacré aux Etudes de Ligeti : “splendide artiste. Généreux et clair. Et conquérant, et masculin. Il montre un esprit délié, huilé, rapide, profond. (…) Il fait de la musique, comme si cela allait de soi.” , consola sa solitude d’adolescent auprès de l’Orpheus Britannicus.
Arrivé au Royal Collège en 1993, le jeune Toros Can s’y consacra à l’étude de Ligeti, de Berio et de John Cage (notamment les Sonates et interludes pour piano préparé (1946-1948), qui firent d’ailleurs l’objet d’un enregistrement par le studio du Royal Collège, sans jamais paraître dans le commerce – et qui sera bientôt l’objet d’une première édition -).Toros Can dans ces années d’études consola ses moments de nostalgie et de solitude auprès du compositeur le plus fameux de son pays d’accueil, l’Orpheus Britannicus, Henry Purcell. De découvertes en rencontres, il élabora pour le compositeur anglais un rôle sur mesure dans son théâtre musical personnel. En contrepoint de Cage, de Stockhausen ou de Boulez.
En 1992, à l’âge de 19 ans, le jeune pianiste Toros Can partit à Londres, bénéficiant d’une bourse du British Council, pour étudier le piano avec Peter Katin. Commence ainsi une drôle de période, solitaire, qui changera sa vie. Au cours des premiers mois, en compagnie de son unique ami et compatriote, Ozgur Aydin, il s’enferme dans sa chambre minuscule, suit les parties de billard (snooker) et d’échecs, très populaires sur la télé anglaise, et découvre Purcell à travers la fameuse interprétation de Didon et Enée par William Christie. Purcell devient très vite le consolateur, l’ami fidèle d’un très jeune homme en exil. Toros s’initie peu à peu à la musique ancienne, vénère Monteverdi et dépense tout son argent dans l’achat de disques au HMV. Puis Toros entre au Royal Collège of Music et sa vie sociale évolue. Il noue de nouvelles relations, nombreuses et passionnantes, fréquente assidûment les salles de concert et s’ouvre à la musique du XXe siècle avec l’œuvre de Stockhausen. Un jour, à la bibliothèque du collège, il tombe sur une partition dont l’étrangeté et l’illisibilité l’intriguent. Dans l’auditorium annexe, il s’installe avec la partition et écoute un enregistrement de l’œuvre. Black Angel de George Crumb sera une expérience fondatrice. Vinrent par la suite d’autres lectures : le quatuor n°2 et les Aventures et Nouvelles aventures de Ligeti, la Sinfonia de Berio, etc. L’inscription et la préparation au Concours International de Piano d’Orléans lui permettent de se confronter intimement à des partitions nouvelles : Ligeti, Cage, Stockhausen, Takemitsu, Berg, etc…
Le directeur du Royal Collège of Music, apprenant que sa jeune recrue jouait les sonates de Cage pour piano préparé, lui propose de les enregistrer au studio du Collège. Une nouvelle ère encore, une étape sur le chemin de sa vie.
Aujourd’hui Toros Can revient sur ses années londoniennes avec deux enregistrements : Purcell pour l’hommage à ces années obscures et la ferveur du sentiment d’étrangeté et d’affection de la vie et, à paraître prochainement, John Cage à l’autre extrême de ces années, œuvre qui rompt la solitude et l’ouvre sur son propre siècle. Le Cage fut enregistré sur place, le Purcell aura attendu mars 2005 avec sa charge d’énergie amoureuse pour un enregistrement qui devrait faire sensation.
Jouer Purcell au piano soulève de nombreux problèmes. Un siège de piano pour jouer une musique écrite pour le clavecin n’est pas une situation aisée. Il faut pouvoir trouver l’équilibre subtil et délicat qui permettra de faire la part entre le mental et ses questionnements et le cœur qui bondit et veut rendre hommage au compositeur, il faudra « composer » entre les possibilités et les contraintes techniques de l’instrument. Les ornements et le jeu irrégulier du clavecin résistent mal au piano moderne, les nuances, les accents doivent s’y exprimer différemment, les tempi s’en ressentent…
Dilemme énoncé en préambule par l’interprète : « Comment jouer Purcell au piano dans le style du compositeur, un style qui provient de la pratique courante du jeu irrégulier aussi bien que des ornements pleins de goût avec leurs limites ? Comme si ce n’était pas suffisant, toutes les possibilités dynamiques et deux pédales qui vous attendent en souriant ! La solution que j’ai trouvée est la suivante : jouer d’abord du piano et le laisser être l’outil qui va capturer ce qui est dans ma logique et dans mon cœur. Comme le piano est un instrument d’orchestre, cela ne devrait pas compter, que ce soit Purcell ou Cage que l’on joue ! Tous deux doivent être joués selon le goût de l’interprète dans le style du compositeur, sans se soucier d’autre chose ».