György Ligeti
Toros Can
Distinctions : 5 de Diapason (janvier 1) – 10 de Répertoire (janvier 1)
15/08/2002
REF : ED13125
György Ligeti
Toros Can
Distinctions : 5 de Diapason (janvier 1) – 10 de Répertoire (janvier 1)
15/08/2002
REF : ED13125
A l’écoute de cette succession de « pièces », dont chacune repousse plus loin les limites de la virtuosité pianistique, l’auditeur est projeté dans un univers où la matière et l’enjeu de la composition semblent être l’écriture virtuose. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’un vulgaire catalogue de figures plus ou moins excentriques obligées pour pianistes en mal d’exercice… Non, ce qu’on entend ici est hors norme, avant ce jour non-visité, proprement inouï. Quelque chose d’un projet presque monstrueux : bien au-delà de ce qu’il semble raisonnable d’imaginer, la virtuosité pianistique ne se constate pas dans l’œuvre de Ligeti, elle est l’évidence. Violemment.
Toros Can
György Ligeti (né en 1923)
Etudes pour piano
Premier Livre (1985)
N° 1 Désordre, dédiée à Pierre Boulez
N° 2 Cordes à vide, dédiée à Pierre Boulez
N° 3 Touches bloquées, dédiée à Pierre Boulez
N° 4 Fanfares, dédiée à Volker Banfield
N° 5 Arc-en-ciel, dédiée à Louise Sibourd
N° 6 Automne à Varsovie, dédiée à mes amis polonais
Deuxième Livre
N° 7 Galamb Borong (1988), dédiée à Ulrich Ekchardt
N° 8 Fém (1989), dédiée à Volker Banfield
N° 9 Vertige (1990), dédiée à Mauricio Kagel
N° 10 Der Zauberlehrling (1994), dédiée à Pierre-Laurent Aimard
N° 11 En suspens (1994), dédiée à György Kurtag
N° 12 Entrelacs (1993), dédiée à Pierre-Laurent Aimard
N° 13 L’escalier du Diable (1993), dédiée à Volker Banfield
N° 14 Columna infinita (1993), dédiée à Vincent Meyer
Troisième Livre
N° 15 White on white (1995), dédiée à Etienne Courant
N° 16 Pour Irina (1996/97), dédiée à irina Kataeva
N° 17 À bout de souffle (1997), dédiée à Heinz-Otto Peitger
À l’écoute de cette succession de «pièces», dont chacune repousse plus loin les limites de la virtuosité pianistique, l’auditeur est projeté dans un univers où la matière même et l’enjeu de la composition semblent être l’écriture virtuose. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’un vulgaire catalogue de figures plus ou moins excentriquement obligées pour pianistes en mal d’exercice… Non, ce qu’on entend ici est hors norme, avant ce jour non-visité, proprement inouï. Quelque chose d’un projet presque monstrueux : bien au-delà de ce qu’il semble raisonnable d’imaginer, la virtuosité pianistique ne se constate pas dans l’œuvre de Ligeti, elle est l’évidence. Violemment.
Alors les premières pensées vont au pianiste. À cette nouvelle manière de «faire sonner», correspondent très certainement de nouvelles capacités à développer. Capacités techniques, certes, de réflexion, d’interrogation, l’exécution de ces œuvres sollicite l’artiste interprète dans des champs aussi extrêmes que certaines chorégraphies ont pu ou peu- vent encore explorer le corps du danseur, ou certaines œuvres picturales révéler la matière. Le corps entier du pianiste s’impose à l’écoute de ces études. Parce qu’elles exigent plus : le plus vite, le plus fort, le moins fort, le plus accentué… On n’en finirait pas de relever au fil de la partition, spécialement dans le domaine des dynamiques, l’expression du dépassement au moyen d’une terminologie de l’extrême (de pppppppp à fffffff). À un point tel que la relation instrument / instrumentiste s’en trouve bouleversée : la limite à dépasser est cette fois pour le moins réputée indépassable. Une note du deuxième livre précise que la quatorzième étude («Columna infinita») a été écrite, dans une première version, du fait de son tempo, pour un piano mécanique, mais qu’avec beaucoup de travail, elle peut être interprétée par un pianiste… Folie de la vitesse, folie et complexité rythmique, jeu des masses, des épaisseurs, des lignes, des fuites, des contrastes, des ruptures, des figures obsessionnelles : une verve époustouflante qui dans la lignée légitime des œuvres du passé révolutionne la pensée pianistique. Certes, ni «Chopin», ni «Debussy» … Mais après eux, le même geste de renouveau pianistique.
C’est donc sur le compositeur et l’acte de composition que se porte alors toute l’attention. Dix-sept études à ce jour, mais Ligeti a plusieurs fois déclaré son intention de ne pas s’arrêter là… Chaque étude est numérotée, titrée, dédicacée, datée. Chacune d’entre-elles constitue une œuvre pleine et entière indépendante des autres, mais intrinsèque- ment liée à l’ensemble lui-même composé en «livre». Trois livres, dix ans de composition entre la première et la dernière : en soi, cela donne une certaine ampleur, un certain corps au projet. Quel est-il d’ailleurs ce projet ? Rien de très signifiant à ce sujet dans les propos du compositeur. À deux reprises, Ligeti a livré un texte sur cette œuvre. La deuxième fois, très certainement pour actualiser au regard des dernières compositions les propos explicités dès le premier et essentiellement constitués de deux références : la musique des cultures de l’Afrique sub-saharienne et le domaine de la géométrie (en particulier fractale). Références évoquées par ailleurs pour d’autres œuvres… Mais pourquoi cette disparité de nombre entre les deux premiers livres ? Pourquoi des titres et plus particulièrement des titres aussi poétiques ? Comment précisément entendre cette succession de «pièces» ? Comme une suite signifiante ? Un catalogue de très haute voltige ? Quelque chose dans le titre de la première (Désordre) anticipe ironiquement sur l’étrangeté des pièces qui suivent. Inventaire : film, peinture, sculpture, ethnologie, musique, politique, symbolique… Le désordre numérique des livres (6+8+3…) n’est pas sans rap- peler le désordre poétique de la succession des titres. Comment ne pas y voir aussi le reflet du désordre rythmique interne à chaque pièce ? Études pour piano, études de composition… Très certainement poèmes : tout y invite, les titres, les livres, ce tout en mouvement, en attente du prochain poème, en constant achèvement.
«Mes compositions échappent largement à toute catégorisation : elles ne sont ni «d’avant-garde», ni «traditionnelles», ni tonales, ni atonales. Et certainement pas post-moderne, car la théâtralisation ironique du passé m’est tout à fait étrangère».
György Ligeti
Enfin, il serait évidemment trop simple de réduire cette œuvre toujours en écriture à la double problématique de la virtuosité pianistique et compositionnelle. Dans le deuxième article consacré à cette œuvre, Ligeti s’interroge sur les raisons qui l’amènent à composer ces études pour piano et livre une piste de réflexion assez inattendue : «Sans doute – déclare-il -, faut-il y voir l’effet des limites de ma propre technique pianistique». À l’âge de quatorze ans, Ligeti commence l’étude du piano, mais ce n’est que lorsqu’il atteint quinze ans que le mobilier familial s’agrandit de l’instrument. Des années plus tard, c’est par ce retard dans la mise à l’étude que Ligeti explique son échec dans l’acquisition d’une technique pianistique performante. Comme il le dit par ailleurs, «mes études sont le fruit de mon impuissance». Voilà qui donne un nouvel éclairage au projet : métamorphoser ses propres déficiences en œuvre d’art, c’est plus que jamais concevoir la création comme un acte de sublimation. C’est poursuivre les voies de l’alchimie créatrice qui de la boue fait de l’or.
Comme l’alchimie, cet acte de sublimation est secret : il ne s’écoute pas, ne se voit pas, ne se révèle pas. Peut-on alors imaginer que le domaine intime de ces études est finalement l’inaudible. Quelque chose de l’ordre de l’illusion. Comme l’illusion acoustique est au centre même de cette œuvre qui d’«Atmosphères» au «Poème symphonique pour cent métronomes», en passant par le «Continuum» ne s’amuse qu’à une seule chose : créer des configurations mélodiques, rythmiques de l’ordre de l’imaginaire, des sons que l’on entend mais qui ne sont pas joués, parfois pas même écrits. Y a-il projet musical aujourd’hui plus poétique ?
Mehdi Idir
Direction artistique&montage /Artistic supervisor&editor: Françoise Thinat
Enregistrement & montage / Recording & editor: France Bleu Orléans : Patrick Renard & Michel Brunault Salle Pierre-Aimé Touchard, Carré St -Vincent Salle nationale, avril / April 2000 Piano Yamaha (Yamaha Musique France, Paris) N° 5 55 16 200 accordé par Pierre Malbos
Toutes photos : © Guy Vivien
Notice / Liner notes by Mehdi Idir English translation by Delia Morris
Ligne éditoriale, production et création graphique Editorial line, production & artwork : Catherine Peillon
Coproduction Numen & Orléans Concours International de Piano XXe siècle Avec la participation de France Bleu Orléans
EAN : 0742495312526
Enregistrer