Michel Maurer, piano – Gérard Sutton, écrits
1 disque – 23 pistes – Durée totale: 00:55:21
ED13230
Michel Maurer, piano – Gérard Sutton, écrits
1 disque – 23 pistes – Durée totale: 00:55:21
ED13230
ARNOLD SCHÖNBERG, MUSICIEN-PEINTRE
Une intégrale des œuvres pour piano, une étude inédite de Gérard Sutton sur la personnalité du musicien et du peintre, 15 reproductions en couleur du travail pictural de Schönberg…
Avec l’intégrale des œuvres pour piano d’Arnold Schönberg, Michel Maurer nous dévoile cinq opus trop souvent méconnus du maître de la deuxième école de Vienne. Rarement jouées en concert, ces cinq œuvres constituent pourtant une trajectoire essentielle dans la musique de son auteur ainsi que dans la création musicale du XXème siècle.
Formé au CNSM de Paris dans la classe d’Aldo Ciccolini, lauréat des concours internationaux Alfred Cortot et Acanthes, Michel Maurer propose une interprétation limpide et profonde, et parvient à dévoiler toute la palette des couleurs et des émotions déployée à travers cinq œuvres singulières et éclectiques, tour à tout empreintes du romantisme de Brahms, matinées de Debussysme ou explorant toutes les possibilités du dodécaphonisme naissant,Gérard Sutton, historien de l’art, signe le livret de ce disque. En mettant en regard les œuvres pianistiques et picturales de Schönberg, il nous livre une clé pour rechercher la profonde unité qui, par-delà les apparences, gouverne l’activité créatrice d’un artiste singulier.
Toute la vie de Schönberg est à l’image de son autoportrait de 1911 qui le montre marchant sur le trottoir. Après avoir dépassé ses multiples crises, en grande partie grâce à la peinture, il peut affirmer : Que ce soit vers la droite, la gauche, en avant, en arrière, que tu montes ou que tu descendes, il faut continuer ta marche sans te demander ce que tu quittes, ni ce qui t’attend.
Gérard Sutton
Michel Maurer, piano – Gérard Sutton, écrits
Trois pièces op 11 (1909)
1 Mässige
isrc : FRV630700024
2 Mässige
isrc : FRV630700025
3 Bewegte
isrc : FRV630700026
Six petites pièces op 19 (1911)
4 leicht, zart
isrc : FRV630700027
5 langsam
isrc : FRV630700028
6 Sehr langsam
isrc : FRV630700029
7 rasch, aber leicht
isrc : FRV630700030
8 Etwas rasch
isrc : FRV630700031
9 Sehr langsam
isrc : FRV630700032
Cinq pièces op 23 ( 1920-23)
10 Sehr langsam
isrc : FRV630700033
11 Sehr rasch
isrc : FRV630700034
12Langsam
isrc : FRV630700035
Schwungvoll.Mässige
isrc : FRV630700036
Walzer
isrc : FRV630700037
Suite op 25 (1921-23)
Prélude ; rasch
isrc : FRV630700038
Gavotte ; Etwas langsam
isrc : FRV630700039
Musette ; Rascher
isrc : FRV630700040
Gavotte da capo ; Etwas langsam
isrc : FRV630700041
Intermezzo
isrc : FRV630700042
Menuet
isrc : FRV630700043
Gigue ; Rasch
isrc : FRV630700044
Pièce pour piano op 33 A (1928-29)
Mâssig
isrc : FRV630700045
Pièce pour piano op 33 B (1931)
Mässig langsam
isrc : FRV630700046
Il n’est pas rare de trouver un compositeur qui s’adonne à la peinture, à la sculpture ou à tout autre art que celui qu’il pratique en professionnel. Arnold Schönberg (1874-1951) semble s’inscrire dans cette tradition puisqu’il peint régulièrement de 1907 jusqu’à sa mort en 1951 et tient en très haute estime tous ses tableaux1. Mais, ce qui fait la particularité du compositeur viennois, c’est que sa pratique picturale de 1907 à 1920 ne se réduit pas à un simple « violon d’Ingres » ; elle participe, au même titre que son œuvre pianistique, à son évolution musicale qui le conduit de l’élargissement du principe tonal au « dodécaphonisme non sériel » puis au «dodécaphonisme sériel ». Si le compositeur se sert du clavier comme d’un « lieu de ré- flexion», la peinture lui permet provisoirement d’exprimer ce qui n’a pas encore trouvé de forme musicale. Dans l’un de ses autoportraits, Arnold Schönberg met en scène sa chute [qui] indique non seulement une descente vers les sources, mais aussi une élévation vers des modes d’expression inédits2.
La naissance du musicien
Schönberg est né le 13 septembre 1874 à Vienne, dans une famille de petits commerçants juifs3. Il commence l’apprentissage du violon à l’âge de huit ans et fonde rapidement, avec des camarades de classe, un quatuor à cordes pour lequel il compose des marches et des polkas. En 1890, à la suite du décès de son père et des difficultés financières qui en résultent pour la famille, il doit interrompre ses études et devenir pour cinq ans employé de banque. Néanmoins, il continue à fréquenter l’association d’étudiants musiciens « Polyhmnia », y joue du violoncelle et reçoit un prix de com- position avant même d’avoir suivi le moindre cours d’écriture musicale. Il étudie avec passion les grands maîtres de la musique comme Jean-Sébastien Bach, Wolfgang Ama- deus Mozart, Ludwig van Beethoven, Richard Wagner, Johannes Brahms, Franz Schubert, Gustav Mahler, Richard Strauss ou Max Reger.
En 1893, Schönberg se lie avec un jeune compositeur de trois ans son aîné, Alexander von Zemlinsky (1871-1942), qui lui enseigne pour quelques mois la discipline du contrepoint. Deux années plus tard, il quitte son emploi à la banque et, pour survivre, accepte la charge de chef de chœur à la chorale des Métallurgistes de Stockerau. Il réalise aussi de nombreux travaux de transcription et d’orchestration de valses et d’opérettes à la mode.
En 1901, Schönberg épouse la sœur de son ami, Mathilde Von Zemlinsky (1877-1923) dont il aura deux enfants : Gertrud, en 1902, et Georg, en 1906. A cette époque, la situation devient de plus en plus difficile pour un compositeur d’origine juive, car la Vienne libérale est balayée par la montée des « partis de masse » et la victoire électorale des « Chrétiens sociaux », dirigés par Karl Lueger4, dont le programme est marqué par un très fort antisémitisme. Le jeune couple décide de quitter Vienne pour s’installer à Berlin à l’automne 1901. Schönberg obtient une place de professeur au Conservatoire Stern et de chef d’orchestre dans le cabaret Buntes Theater. Dans cet établissement fondé et dirigé par Ernst von Wolzogen (1855-1934), romancier, dramaturge, écrivain satirique, bon connaisseur de l’art wagnérien, le compositeur dé- couvre la pensée de Rudolf Steiner (1861-1925)5, secrétaire général de la « Société Théosophique » allemande depuis son ouverture en 1902. Le « prisme théosophique » est la réunion du savoir scientifique, musical, philosophique et artistique pour créer les conditions nécessaires à l’épanouissement de la société et de chaque individu par l’Art, le Théâtre et la Danse sous la forme de l’Eurythmie.
Insatisfait de sa situation financière, Schönberg rentre à Vienne en 1903 et découvre une ville secouée par une grande crise esthétique. Le mouvement de la « Sécession» qui, derrière son chef de file Gustav Klimt (1862-1918), défendait depuis 1897 le concept à chaque époque son Art, à l’Art la liberté, se voit accusé de trahison par de jeunes artistes comme Oskar Kokoschka (1886-1980) ou Egon Schiele (1890-1918). Réunis sous la bannière de l’«Expressionnisme », ces derniers veulent faire éclater au grand jour les contradictions sociales, politiques, économiques, raciales et ethniques de l’empire finissant des Habsbourg. De 1903 à 1906, par la création de ses premières œuvres tonales comme La Nuit Transfigurée (opus 4 ; 1899) ou Pelléas et Mélisande, (opus 5 ; 1902/03), Schönberg s’impose comme l’un des musiciens les plus talentueux de sa génération. Il est appelé à enseigner l’harmonie et le contrepoint à l’Ecole Schwarzwald et à l’Académie de Musique de Vienne comme enseignant non titulaire (Privatdozent), fonde en 1904, avec Zemlinsky, l’Association des musiciens créateurs (Vereinigung Schaffender Tonkünstler), et donne naissance à la « Deuxième Ecole de Vienne » en groupant autour de lui ses premiers disciples : Alban Berg (1885-1935) et Anton Webern (1883-1945). En dépit de cette apparente réussite sociale et artistique, Schönberg se montre très insatisfait de ses œuvres tonales et aspire à émanciper la dissonance6. L’année 1906 marque pour le compositeur le début d’une profonde interrogation sur la nature de la création musicale future.
La naissance du peintre
En 1905, un événement de la plus haute importance se produit dans la vie et la car- rière de Schönberg. A l’issue d’un concert consacré à ses œuvres, un jeune peintre inconnu, Richard Gerstl (1881-1908), sollicite du compositeur l’autorisation de faire son portrait. Schönberg accepte et une grande amitié se noue entre les deux artistes. Ils s’accordent sur des points philosophiques particuliers repris à Otto Weininger (1880-1903) et Sigmund Freud (1856-1939). Du premier, ils retiennent l’anti-sémitisme perçu sous la forme d’une haine d’être Juif (jüdischer selbsthass7) ; du second, la mise en cause de l’individu par lui-même afin de faire jaillir en soi un « homme nouveau » capable d’assumer son inconscient pour dépasser la morale et la conception de l’homme héritées de la société bourgeoise du XIXe siècle8.
En 1907, Schönberg invite son ami peintre à venir passer ses vacances d’été au sein de son foyer, à Gmund. A cette occasion, Gerstl réalise plusieurs portraits du compositeur et de sa famille et éveille chez le musicien l’envie de s’adonner à la peinture. Répondant à une nécessité intérieure, Schönberg se met sans délai à l’huile, à l’aquarelle et au dessin. Quasi autodidacte en musique, le compositeur semble l’être totalement en peinture. Et, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il réfutera toute influence stylistique de Gerstl, affirmant même qu’à la vue de ses malheureux essais picturaux, le peintre les aurait pris pour des intentions et se serait exclamé : Maintenant j’ai appris de vous comment il faut peindre. Et il se serait mis à peindre de façon moderne9.
L’œuvre picturale d’Arnold Schönberg nous propose des « paysages », peints directe- ment d’après nature qui restent des exercices pour les doigts, des « portraits » ressentis intuitivement nommés Visions et Regards, qui expriment des états d’âme qui ne trou- vent pas une forme musicale, et de nombreux autoportraits où, selon le peintre Sarkis (né en 1938), cet autodidacte de la peinture peut se représenter comme un adulte qui peint comme un enfant ou un enfant qui vieillit10.
Le musicien-peintre
De 1907 à 1911, la peinture de Schönberg est à considérer comme un Journal, une sorte de miroir qui lui permet de se dénuder en présence de lui-même et de chercher à résoudre le conflit qui oppose la confiance au doute de soi. Ce « journal pictural » nous permet de comprendre ce que veut dire le compositeur lorsqu’il qualifie ses tableaux d’œuvres expiatoires11. Nous y trouvons les échos d’une crise familiale, économique et esthétique.
La crise familiale (1908)
Pendant les vacances d’été de 1908, Gerstl prend l’aspect du « mauvais génie » qui perturbe la vie du couple Schönberg. Le compositeur surprend sa femme Mathilde en flagrant délit d’adultère avec son ami peintre. Le 4 novembre 1908, peu de temps après la rupture des deux amants, Gerstl met en scène son suicide de façon terrifiante. Il est retrouvé le lendemain, assis dans son atelier, face au miroir qui lui servait pour ses autoportraits, une corde au cou et un couteau de boucher planté dans le cœur. Confronté à la mort, le compositeur signe son premier autoportrait réalisé à l’encre de chine. Il peut être compris comme une profonde interrogation sur le sens de l’acte désespéré de son jeune ami qui n’est peut-être pas sans rapport avec l’épisode de l’oreille coupée de Vincent Van Gogh (1853-1890), peintre admiré des deux artistes viennois. Cette forme d’auto-analyse peut aussi aider le compositeur dans son travail de deuil.
La crise économique (1910)
Les années 1907/1909 sont marquées par l’avènement des premières compositions dites de « rupture » : le Quatuor à cordes n°1 en ré mineur, (opus 7 ; 1904/05), la Première Symphonie de chambre pour 15 instruments solistes, (opus 9 ; 1906), le Deuxième Quatuor à cordes en Fa# mineur avec voix de soprano (opus 10 ; 1907/08) et les Trois Pièces pour piano (opus 11 ; 1909)12. L’évolution musicale de Schönberg met en danger la survie matérielle de sa famille. Il ne peut compter que sur le maigre salaire que lui procurent ses activités de pédagogue et espère que la peinture deviendra pour lui un moyen de subsistance. A partir du mois de février 1910, le compositeur se consacre principalement à la peinture et se propose de faire les portraits de mécènes appartenant à la bourgeoisie ou à l’aristocratie viennoise pour 200 à 400 couronnes par tableau, soit un prix aussi élevé que celui demandé par le peintre Egon Schiele alors au sommet de sa gloire. L’argument du musicien est le suivant : vu la place prépondérante qu’il occupe en musique, un portrait de sa main vaudra, dans quelques an- nées, beaucoup plus qu’un tableau exécuté par un peintre professionnel, même célèbre13. Aucun client ne semble s’être manifesté et Schönberg se contente de re- présenter son entourage avec des portraits de Gustav Mahler, Alban Berg, Alexander von Zemlinsky, son épouse ou ses enfants. Il décide d’organiser sa première exposition de peinture à la galerie Kunstsalon Heller de Vienne14. Il y présente quarante-deux tableaux dans l’espoir d’attirer des commandes mais la seule personne qui se manifeste est un riche entrepreneur et mécène du mouvement de la « Sé- cession », le Docteur Karl Wittgenstein (1847-1943), et les deux toiles vendues sont secrètement achetées par Gustav Mahler (1860-1911). Dans l’ensemble, la réaction des critiques d’art est très négative, à l’exception de l’écrivain, journaliste et critique d’art Bertha Zuckerkandl (1864-1945) et du musicologue et critique d’art Elsa Bienenfeld (1877-1942) qui voit dans les autoportraits des communications d’une âme humaine suppliciée et attaquée15. Le projet de gagner sa vie par la peinture échoue et Schönberg-peintre rencontre la même incompréhension que Schönberg- musicien. Parmi les instrumentistes d’orchestre circule ce dicton : La musique de Schönberg et les tableaux de Schönberg : voilà de quoi perdre la vue et l’ouïe !
La crise esthétique (1907-1911)
La solitude et l’isolement dont souffrent de nombreux artistes résidant à Vienne condamnent Schönberg à recréer son propre univers et trouver au fond de lui-même les moyens d’expression capables de faire surgir un « homme nouveau » des ruines encore fumantes de la société du XIXe siècle. Il rejoint les artistes qui puisent à la psychoarchéologie définie par Freud pour orchestrer la danse de mort des principes. Le « programme psychologique » de la Symphonie de chambre n°1 pour 15 instruments solistes17 en est la parfaite illustration : révolte, indocilité ; nostalgie, enthousiasme ; abattement, désespoir ; peur de s’enfoncer, sentiments amoureux inhabituels – un désir de fusion total – […] lutte de tous les motifs avec la décision de commencer une vie nouvelle18.
C’est dans ce contexte qu’après quelques essais de jeunesse19, Schönberg nous pro- pose sa première grande page pianistique, les Trois Pièces pour piano (opus 11 ; 1909). Son but n’était pas de mettre en valeur toutes les richesses de la palette sonore du piano mais de rechercher une nouvelle écriture musicale. Ces trois pièces s’adressent plus au musicien qui fait preuve de connaissances générales dans toutes les arcanes de son art qu’au pianiste qui se contente d’une maîtrise indiscutée dans son domaine particulier20. Loin de se considérer comme instrumentiste et n’étant pas lui-même pianiste, Schönberg aborde le clavier comme un laboratoire et affirme qu’un vrai compositeur [est celui qui] conçoit ses idées, toute sa musique, dans son esprit, dans son imagination, sans avoir recours à l’instrument21. Dans les Trois pièces pour piano, le principe du « total chromatisme » s’impose à lui comme une vérité, une loi. Il veut créer une œuvre, dont l’unité soit immédiatement perceptible, et explorer ce qu’il peut y avoir hors ou au-delà du système tonal, afin de découvrir un nouvel espace de liberté où les douze degrés de la gamme seraient placés sur un pied d’égalité22. Il s’écarte de la syntaxe musicale existante et entre dans sa phase de « néantisation ». La perte de la grammaire tonale engendre une forme plus libre qui nous fait entrer dans l’ère de la brièveté23 qui permet d’explorer l’univers de la tonalité suspendue, de l’athématisme, de l’atomisation des motifs et de la fragmentation du discours musical, des recherches de sonorités nouvelles par un travail sur les modes de jeu, la complémentarité des contrastes et la remise en cause de tous les présupposés idéologiques touchant aux paramètres sonores de la hauteur, du timbre et de la couleur24. Ces trois pièces pour piano marquent l’avènement de la « forme ouverte » au sein de laquelle chaque « instant musical » est indépendant de celui qui précède et qui suit. Cela exige de la part de l’interprète un travail très rigoureux sur la notion de « tempo ». Schönberg conseille d’ailleurs à son élève : Ai précisé à Webern que pour ma musique, il fallait avoir du temps, qu’elle n’était pas faite pour des gens qui ont autre chose à faire25.
Pour le moment, les nouvelles règles ou limites, que se donne le compositeur, consis- tent à éviter le retour aux fonctions tonales. Nous sommes en présence d’une attitude empirique qui fait confiance à l’oreille du compositeur, seule à même de sentir s’il s’installe ou non dans une tonalité. Il s’agit encore d’une attitude défensive et néga- tive, propre à définir la nouvelle écriture par rapport à l’ancienne. Schönberg se met à l’écoute de l’«impressionniste» qui sommeille en lui.
L’impressionniste s’exprime grâce à un sismographe qui enregistre les mouve- ments les plus silencieux […] Il est attiré par ce qui est immobile, à peine audible, donc mystérieux. Sa curiosité le pousse à essayer ce qui ne l’a jamais été […] Celui qui cherche a tendance à trouver ce dont on n’entend pas parler […] Dans cette optique, tout grand artiste est un impressionniste ; sa réaction raffinée à la pulsion la plus faible lui révèle l’inconnu, la nouveauté […] Ce qui importe, c’est la capacité à s’entendre soi-même, à regarder au fond de soi […] A l’intérieur, là où la vie des instincts commence et où, Dieu merci, toute théorie finit…26
Il rejoint les préoccupations esthétiques de nombreux peintres expressionnistes. Ainsi, lorsqu’en janvier 1911 le peintre Franz Marc (1880-1916) découvre le Deuxième Qua- tuor à cordes et les Trois Pièces pour piano, il est subjugué par la transgression musicale que représente le renoncement à un « centre tonal ». Il écrit à son ami et collègue August Macke (1887-1914) :
Peux-tu imaginer une musique où la tonalité (et aussi le respect de n’importe quel ton) est totalement abolie ? Je pensais sans cesse aux grandes compositions de Kandinsky, qui ne tolère lui non plus aucune trace de tonalité […] et aussi à ses ‘springende Flecken’ [« tâches volantes »], à l’écoute de cette musique où chaque son joué existe pour soi (une sorte de ‘toile blanche’ entre les tâches de couleur). Schönberg part du principe que les concepts de consonance et de dissonance n’existent absolument pas. Une prétendue dissonance n’est qu’une consonance plus éloignée. […]
Schönberg semble être convaincu, comme notre association, de l’irrésistible dis- solution des lois de l’art et de l’harmonie européennes ; il a recours aux moyens artistiques et musicaux de l’Orient resté primitif.27
En dépit de quelques appréciations positives, Schönberg perd son assise sociale auprès du public et des milieux culturels et musicaux de Vienne. Les grandes salles de concert lui sont plus ou moins fermées et le public boude sa musique. Il incarne aux yeux de nombreux journalistes la sottise de l’art contemporain. Le psychiatre et critique hongrois Max Nordau (1849-1923), en son « honneur », fait entrer cette nouvelle musique dans son concept de « dégénérescence » qui, repris par les nazis en 1937, deviendra celui d’« art dégénéré » synonyme d’« art juif »28.
Face à cette situation, la peinture permet au compositeur de tourner en ridicule ses détracteurs comme en témoigne une toile représentant une caricature de l’amateur d’art sans yeux et sans oreilles. Provisoirement, la peinture se substitue même à la composition et Schönberg cherche, pour un temps, à exprimer, sur le papier, le bois ou la toile, les mouvements de son âme pour lesquels il ne trouve point de forme mu- sicale29. Nous trouvons alors de nombreux « Autoportraits » aux oreilles amputées et des tableaux intitulés « Regards » et « Visions » dans lesquels il a essayé de donner aux yeux une intensité qui se veut révélatrice de l’âme. Schönberg admet se situer à l’extrême opposé de la nature d’un vrai peintre.
Je n’ai jamais vu des visages, mais lorsque j’ai regardé les hommes dans les yeux, je n’ai vu que leurs regards. De là vient que je veux copier le regard d’un homme. Un peintre peut saisir d’un seul coup d’œil l’homme entier – je ne peux saisir que son âme30.
Dans la série des Visions, commencée vers 1910, il propose des visages peints de face sans qu’aucun contour ne délimite la tête du fond qui l’entoure. Ici la notion de temps-espace est abolie au profit d’une profonde unité qui, pour l’artiste, ne peut être réalisée que dans des tableaux de petites dimensions afin de ne pas s’échapper de son champ visuel. En 1912, Wassily Kandinsky (1866-1944) définit cette peinture comme la peinture du seulement31 (Nurmalerei) : seulement une tête, une couleur pour un paysage, un personnage contre un fond. Par cette peinture de l’essentiel, [cette] peinture intuitive qui ne se soucie que de la résonance intérieure32, l’homme est révélé tout d’une pièce. Le compositeur-peintre met à jour un nouvel idéal de contenu et de forme qui émane d’une nécessité intérieure. Il doit compenser l’extrême intensité du contenu émotif par une très grande concision. C’est l’abandon du superflu, c’est-à-dire de l’extension dans le temps.
L’expérience picturale de cette nouvelle unité spatiale permet au compositeur Schönberg de doter la musique d’une nouvelle densité : la musique ne doit pas être un ornement mais être « vraie ». C’est ce que nous trouvons dans les Six petites pièces pour piano (opus 19 ; 1911)33 qui portent en gestation le Pierrot lunaire (opus 21 ; 1912). Elles confirment l’abandon des traditions académiques qui, pour le compositeur, ne sont faites que de dogmatisme et d’opportunisme comme le prouvent les licences autorisées ou tolérées pour échapper à la stérilité d’un système autoritaire. Le choix du « total chromatisme » oblige le compositeur à concevoir une nouvelle idée du temps musical. La brièveté est une arme de combat anti-romantique ; l’art du fragment musical refuse la durée. Chaque pièce représente un instant et ne doit rien ni à celle qui précède ni à celle qui suit. C’est la raison pour laquelle, au début de sa partition, le compositeur demande explicitement au pianiste de marquer une pause après chaque pièce afin de ne pas les enchaîner l’une l’autre. Dans ces six pièces pour piano, la quête de l’« instant musical » conduit Schönberg à faire une recherche sur le timbre et l’intensité. Il fait en sorte que la dernière d’entre elles s’achève wie ein Hauch (comme un souffle) sur un la bémol à peine audible.
L’opus 19 n°6, « Sehr langsam », est composé peu de temps après les obsèques de son maître spirituel et ami Mahler mort le 18 mai 1911. Cet évènement laisse Schönberg orphelin et fait naître en lui un profond sentiment de dissolution des frontières entre le « Vivant » et le «Mort». Il décide de quitter l’atmosphère étouffante de Vienne, de ne plus rien savoir de cette ville et s’exile une nouvelle fois avec sa famille à Berlin où il constate que tout le monde [le] connaît34. Nommé professeur de com- position au Conservatoire Stern, il peut vivre entièrement comme musicien et sur- monter provisoirement ses difficultés financières.
Schönberg – Kandinsky
L’année 1911 est aussi celle de la rencontre avec le peintre Kandinsky qui, par ses re- cherches, veut faire entrer la peinture du début du XXe siècle dans une phase nouvelle qu’il nomme Aujourd’hui35. Il affirme que les racines d’un tel art sont contenues dans le savoir intérieur de chaque artiste qui se laisse guider par sa voix intérieure. Pour ouvrir le chemin des dissonances dans l’art, qui ne sont autres que les consonances de demain36, ce peintre français d’origine russe s’installe provisoirement à Munich en 1908, ouvre une école d’art et participe activement à la « Nouvelle Association des Artistes de Munich » qui, dès 1909, organise des expositions de peinture contemporaine en la galerie Thannhaüser. Il en démissionne bientôt pour fonder, avec Franz Marc le mouvement du « Cavalier bleu » (Blaue Reiter) destiné à faire avancer l’idée de la grande synthèse artistique qui doit faciliter le ressourcement de l’Homme.
Le 1er janvier 1911, Kandinsky assiste à un concert au cours duquel sont joués le Deuxième quatuor à cordes (opus 10 ; 1907/1908) et les Trois Pièces pour piano. Profondément ému, il prend rapidement l’initiative d’un échange épistolaire avec Schönberg. En septembre de la même année, le compositeur, sensible à la recherche artistique de Kandinsky, se rend à Murnau pour faire sa connaissance et, dès le mois de décembre, les deux artistes échangent leurs premiers écrits théoriques. Kandinsky dédicace au compositeur Du Spirituel dans l’Art (1910) en simple témoignage de sympathie et Schönberg offre au peintre son Traité d’Harmonie. Kandinsky, discernant l’originalité des tableaux de Schönberg, lui propose d’en présenter quelques-uns en Russie et de participer à la première exposition munichoise du Blaue Reiter dans la Galerie Thannhaüser. L’Almanach du Blaue Reiter, sorti en mai 1912, et dans lequel sont publiés la partition Herzgewächse (opus 20 ; Feuillages de cœur) composée d’après Maurice Maeterlinck et l’article intitulé La relation avec le texte et deux tableaux à l’huile, présente pour la première fois Schönberg comme compositeur, théoricien et peintre.
Violoncelliste et pianiste amateur, Kandinsky compose des mélodies pour son drame Violetter Vorhang (1914 ; Rideau violet) et rêve d’un théâtre idéal avec Der gelbe Klang (La Sonorité jaune) mis en musique par le compositeur d’origine ukrainienne Thomas von Hartmann (1865-1956). Avec ce drame, il souhaite renforcer une certaine sonorité d’un art par la sonorité identique d’un autre art et obtenir ainsi une impression particulièrement puissante37. Le travail scénique doit faire apparaître l’unité intérieure de l’action, là où la sonorité musicale, la sonorité corporelle spirituelle et la sonorité colorée ne font qu’un. La sonorité corporelle spirituelle est le terme choisi par le peintre pour indiquer la voix humaine à l’état pur, sans qu’elle soit obscurcie par la parole, par le sens de la parole38.
De son côté, dès 1895, le compositeur a le sentiment que ses capacités créatrices pourraient être limitées en s’adressant à la seule musique. Il se tourne vers la littérature et emprunte des textes à Richard Dehmel (1863-1920) pour La Nuit transfigurée (opus 4 ; 1899), au poète danois Jens-Peter Jacobsen (1847-1885) pour les Gurrelieder (sans n° d’opus ; 1900/1911), à Stefan George (1868-1933) pour le Deuxième quatuor à cordes (opus 10 ; 1907/08), à Marie Pappenheim (1882-1966) pour Erwartung (opus 17 ; 1909 ; L’Attente) et Albert Giraud (1860-1929) pour Pierrot lunaire (opus 21 ; 1912). En recherche d’une nouvelle grammaire musicale, Schönberg explore de nouveaux moyens d’expression comme librettiste avec L’Echelle de Jacob (sans opus; 1917/22 ; Die Jakobsleiter) ou La Main heureuse (opus 18 ; 1910/13 ; Die glückliche Hand), et scénariste pour un projet cinématographique avorté prévu en collaboration avec Oskar Kokoschka (1913). Mais, dans son rapport au mot, il ne tarde pas à constater que la musique exprime plus que les mots39. Elle est un mode d’expression direct, pur et vierge de toute matière, tandis que la poésie est un art encore lié à la matière. Conscient de sa maladresse comme écrivain et considérant la peinture proche de la musique, il décide de se servir de son expérience de peintre de paysage pour devenir le peintre-décorateur de son monodrame écrit sur un poème de Marie Pappenheim, Erwartung. Par la couleur et la lumière, le compositeur-peintre veut que les décors scéniques deviennent parties prenantes40 dans l’expression du drame qui met en scène le vécu intérieur d’une femme amoureuse. Mais ce n’est qu’avec le drame en un acte La Main Heureuse, que Schönberg réalise sa vision du théâtre idéal. Il écrit le texte, compose la musique et conçoit les décors, les costumes, les lumières et la mise en scène. Il parvient à faire de la musique avec les moyens de la scène et traiter les gestes, les couleurs et la lumière comme les sons : chaque mot, chaque geste, chaque rayon de lumière, chaque costume et chaque image […] ne veut pas signifier moins que ce que signifient les sons musicaux41. Il a le sentiment de donner enfin naissance à un art de la représentation des mouvements intérieurs au sein duquel l’effet artistique devient indissociable de l’effet psychique. Ici, le drame à connotation autobiographique met au premier plan la rencontre douloureuse de l’« Homme » – comme personnalisation de l’homme spirituel et créateur – avec la sphère quotidienne de la vie, représentée par la « Femme », le « Dandy » et les « Ouvriers ». Le texte relate les frustrations de l’artiste délaissé par la femme et méprisé par le public qui l’accuse d’être l’apôtre de la décadence. Cette « main heureuse » insiste sur la différence qui existe entre l’artiste véritable et l’ouvrier d’art.
Kandinsky et Schönberg ont toujours travaillé en parallèle, sans influence réciproque, mais se reconnaissent comme appartenant à une même famille d’âme nourrie par la pensée théosophique. L’abandon par le premier du figuratif et de la perspective au profit de combinaisons contrapuntiques lignes/couleurs correspond chez le second à l’abandon du centre tonal. La dissolution de l’objet correspond à celle de l’harmonie traditionnelle. Tous deux veulent exprimer le principe originel de l’Art et donner forme aux visions qui émanent des couches profondes du subconscient. Pour l’un comme pour l’autre, il s’agit de développer cette faculté d’écouter les couleurs et seule la résonance intérieure peut unir les différents arts entre eux. Pour Kandinsky, le plus important est de pouvoir s’enfermer intérieurement, de se purifier intérieurement42. Les deux artistes passent par une phase de néantisation des valeurs communément admises pour libérer le monde intérieur des tabous du monde extérieur.
Très sensibles à la pensée théosophique, ils considèrent que l’œuvre d’art doit agir comme médium d’une communication spirituelle. C’est par le « rêve » que Rudolf Steiner conçoit le ressourcement de l’humanité au sein de la « mer cosmique ». Pour Schönberg, ce rêve pourrait devenir réalité par l’émergence de sonorités nouvelles que Kandinsky recherche par la voie de l’antigéométrique, l’antilogique le plus absolu43.
De la victoire de l’ouïe sur l’œil (1912/23)
Pendant les années de crise qui précèdent le conflit de 1914-1918, Schönberg fait l’ex- périence que l’art appartient à l’inconscient et qu’un artiste ne peut et ne doit expri- mer que ses qualités innées et instinctives44. La peinture, écrit-il, ne doit pas être la simple reproduction de ce que les yeux perçoivent mais donner sous une forme picturale
une expression extérieure à une impression intérieure au moyen de rythmes et de va- leurs sonores45. C’est en cela que l’oreille est supérieure [aux] yeux [qui] ne s’attachent qu’à ce qui est concret46. C’est ce qui pourrait expliquer que, depuis 1911, Schönberg ralentit sa production picturale, l’art de la peinture n’ayant pu combler sa soif d’im- palpable. Les oreilles réapparaissent peu à peu dans ses autoportraits. En mars 1912, le compositeur, se considérant en peinture comme un outsider, un amateur, un dilet- tante47, fait part à Kandinsky de ses doutes quant à l’opportunité d’être exposé en compagnie de peintres professionnels. Ce même mois, dans son Journal de Berlin, il avoue qu’après avoir envisagé de ne plus composer, il retrouve peu à peu la joie de l’écriture musicale avec le Pierrot lunaire. Il sent le printemps renaître en lui. Mis en difficulté par ses premiers élèves qui marchaient sur ses talons et renchérissaient sur ses propositions au risque de faire du maître le simple imitateur de ses disciples, il reprend l’initiative avec la ferme conviction d’aller à la rencontre d’une expression nouvelle. Il a le sentiment d’avoir simplement à transcrire des sonorités bestiales [qui] se transforment immédiatement en pulsations où se mêlent les vibrations des sens, de l’âme48. Parallèlement, le dépouillement de ses autoportraits devient extrême. Il se plaît de plus en plus à réduire le visage à des combinaisons de formes géométriques travaillées par symétrie.
Séparés par la Première Guerre mondiale, Kandinsky et Schönberg se retrouvent en 1922 et constatent qu’ils ont tous deux ressenti la nécessité intérieure de proposer un nouvel ordre pictural et musical fondé sur leur rapport aux mathématiques. Ils sont prêts à prendre le risque de devenir une tradition49. Pour le peintre, il s’agit de structurer sa toile à l’aide de formes géométriques et il fait paraître, en 1926, son second ouvrage théorique intitulé Punkt und Linie zu Fläche (Point Ligne Surface). De 1920 à 1923, le compositeur clarifie sa méthode de Composition avec douze sons n’ayant de relation qu’entre eux50 et se tourne vers la symétrie pour organiser son principe sériel : série, inversion, rétrogradation, rétrogradation de l’inversion. Les Cinq Pièces pour piano (opus 23 ; 1920/23) portent témoignage de l’évolution qui conduit Schönberg du dodécaphonisme non sériel au dodécaphonisme sériel. Les deux premières pièces sont composées en juillet 192051 et les trois autres sont achevées le 13 février 192352. Dans la Pièce n°3, une « suite de cinq sons » engendre toutes les figures harmoniques et mélodiques de l’œuvre par ses différents renversements et transpositions. La Pièce n°5 inaugure véritablement l’ère de la « musique sérielle » qui permet à Schönberg de réaliser la synthèse des dimensions horizontale et verticale de la musique. La composition de ce nouveau recueil est croisée avec le Prélude et l’Intermezzo de la Suite pour piano (opus 25 ; 1921/23). Mais Schönberg ne connaît le vrai printemps qu’à partir de 1923, année qui marque la naissance officielle de la musique dodécaphonique sérielle53. Il propose une discipline de composition à même d’éviter la rechute dans la « mémoire tonale ». C’est une amnésie volontaire et contrôlée qui permet au compositeur de définir la musique nouvelle comme aboutissement et dépassement de l’ancienne musique. Cette méthode est affirmative et justifiée sur un plan théorique. A la base de chaque œuvre doit être posé un ordre arbitraire d’apparition des douze notes de l’échelle chroma- tique qui reste inchangé du début à la fin. Idéalement, chaque note ne doit pas être réentendue avant l’énoncé des onze autres54. La « série » devient le reflet d’un ordre librement déterminé par le compositeur ; elle fait appel à la « symétrie » pour structurer une écriture qui repose sur l’art de la variation. Par souci de variété, synonyme de vie, la « série » peut être présentée de quatre façons différentes sur les douze degrés de la gamme chromatique. La série fondamentale de douze notes accompagnée de ses trois formes en miroir peut être fractionnée en deux, trois ou quatre groupes. Cette série, appelée forme « Ur », et ses 11 transpositions offrent au compositeur 48 possibilités. L’art du contrepoint se trouve enrichi par le procédé du développement par variation qui, à partir d’une cellule de base, apporte toutes les formulations thématiques et rythmiques voulues. Le principe de l’outil sériel donne naissance à une musique de style homophonique-mélodique55.
Si nous prenons la série fondamentale du Quintette pour instruments à vent (opus 26 ; 1923/24) que Schönberg donne comme exemple dans son ouvrage théorique Le Style et l’Idée (1941)56, nous trouvons :
1. Sa forme fondamentale en haut à gauche.
2. Son inversion en bas à gauche.
3. Sa rétrogradation en haut à droite.
4. La rétrogradation de son inversion en bas à droite.
Pour le compositeur, l’emploi des « formes miroir » correspond à son idéal de perception absolue et unitaire de l’espace musical au sein duquel horizontalité et verticalité doivent se confondre. Quant à la problématique de la couleur, si présente dans les tableaux du musicien, elle se transforme dans ses œuvres pour orchestre en Farben (couleur) et Klang (timbre), générant ainsi le concept de klangfarbenmelodie (mélodie de timbre). En ce qui concerne le piano, Schönberg considère qu’il ne peut en aucun cas changer son timbre et que cette contrainte oblige tout compositeur à tirer un parti extraordinaire de l’outil dont il dispose57. Il est pour lui tout aussi mauvais d’écrire orchestralement pour le piano que d’écrire pianistiquement pour l’orchestre58. La Suite pour piano témoigne de cette évolution. Cette œuvre a été composée au cours de deux périodes ; en juillet 1921 pour le Prélude et l’Intermezzo, et de février à mars 1923 pour les Gavotte, Musette, Menuet et Gigue59. Ces six pièces de courtes durées inscrivent l’écriture sérielle dans les cadres internes des pièces de la « Suite baroque » en respectant jusqu’aux reprises et da capo. Ces six pièces sont composées sur la même « série » (Mi, Fa, Sol, Réb, Fa#, Mib, Lab, Ré, Si, Ut, La, Sib)60, ce qui, par ana- logie, se substitue à l’unité tonale d’une « Suite » de Jean-Sébastien Bach. Elles se caractérisent également par un très large ambitus, de nombreux agrégats et des variations incessantes de tempi et d’attaques de notes. Schönberg peut dès lors proposer sa définition de la Musique :
La musique est un ensemble simultané et successif de sons et de combinaisons de sons, organisés de manière à produire sur l’oreille une impression agréable, et sur l’intelligence une impression compréhensible et de manière que ces impressions aient la capacité d’influer sur des parties occultes de notre âme et de nos sphères sentimentales et que cette influence nous fasse vivre dans un pays de rêve, de désirs comblés, ou dans un enfer de rêve61.
Le compositeur fait aussi en sorte de rappeler que la technique « sérielle » doit toujours être mise au service de l’idée musicale, de l’idée d’un morceau62, pour éviter la servilité devant toute théorie prise à la lettre. Composer reste pour lui une exploration du subconscient et une obéissance à une pulsion intérieure. Schönberg cherche à établir une harmonie entre Aaron et Moïse63.
Les années d’exil (1926-1951)
Par le « dodécaphonisme sériel », le compositeur a le sentiment d’offrir à l’Allemagne une véritable suprématie musicale pour le siècle à venir. Cette prise de conscience est parallèle à son retour au judaïsme. Issu du milieu juif dit « émancipé», Schönberg s’est converti au luthérianisme en 1898. Le 30 juillet 1933, dans la Synagogue de la rue des Victoires à Paris, il reprend sa religion juive. Si cet acte peut être analysé comme un geste de solidarité envers le peuple juif persécuté par les nazis (ce qui lui vaut d’être « démissionné » de son poste de professeur de composition à Berlin la même année), il faut surtout y voir l’aboutissement d’un parcours spirituel. Dans une lettre qu’il envoie à Alban Berg, le 16 octobre 1933, le compositeur affirme que son retour à la religion juive date, intérieurement, des années 1922/23. Le 19 avril 1923, Schönberg renonce à la proposition que lui fait Kandinsky de venir enseigner à la Musikhochschule de Weimar en raison du sort que l’Allemagne réserve aux Juifs.
Car ce qu’on m’a forcé à apprendre durant cette dernière année, je l’ai enfin com- pris et ne l’oublierai pas. C’est que je ne suis pas Allemand, pas européen, peut- être à peine un être humain (du moins, les Européens préfèrent à moi les plus mauvais de leur race), mais que je suis Juif.
Et j’en suis content !64
Assumant le devoir que, selon lui, Dieu a imposé aux Juifs, de survivre en exil, sans se mêler et sans se briser, jusqu’à ce que vienne l’heure du salut65, Schönberg quitte Vienne pour Berlin et Barcelone (1926/33) où il compose en particulier les actes I et II de Moïse et Aaron (sans opus ; 1930/32) et les deux Pièces pour piano (opus 33a et 33b ; 1928/31). Dans ces deux derniers opus, qui mettent un terme à l’œuvre pour piano solo de Schönberg, apparaissent clairement les correspondances entre les œuvres pianistiques et picturales relevées par le critique d’art Dora Vallier : à la disparition du thème correspond la disparition de l’objet ; les voix secondaires perdent leur fonction d’accompagnement comme le fond du tableau ne se démarque plus par rap- port à la forme ; le tissu sonore et la texture picturale sont constitués de juxtapositions chromatiques heurtées ; le jeu entre les silences et les sons est à l’image de celui des couleurs et de la toile nue laissée apparente ; le rythme parcourt la totalité d’une pièce musicale comme les tâches colorées rythment l’espace entier de la toile66. Techniquement, elles illustrent et résument les conseils que le compositeur donnait en 1923 à celui qui voudrait écrire pour le piano, à savoir que le meilleur pianiste du monde ne possède que deux mains et deux pieds et que ces derniers peuvent tantôt gêner ses mains, tantôt les aider. Pour éviter que les pieds, avec l’aide des pédales, puissent alimenter l’art de masquer des idées sans qu’on en ait aucune, il faut écrire aussi aéré que possible, avec aussi peu de notes que possible67.
En 1933, Schönberg quitte définitivement Berlin pour la France et les Etats-Unis (1933/51) et finit sa vie comme citoyen américain68. Il poursuit sa carrière de musicien, continue de peindre et développe de plus en plus sa pensée mystique. Ceci le conduit à affirmer que le « peuple élu » a pour mission de témoigner devant les autres peuples de l’existence d’un Dieu unique et immatériel que l’on doit essayer de comprendre par la prière et non par l’image. Le Christ devient, à ses yeux, l’être le plus pur, le plus innocent, le plus désintéressé, le plus idéaliste qui ait jamais vécu sur cette terre ; sa volonté, toute sa pensée, toutes ses aspirations [étant] uniquement fixées sur le seul but de sauver les hommes en les conduisant à la vraie foi en l’Unique, Eternel et Tout- Puissant69. Dès lors, si l’art est l’appel au secours de ceux qui ont fait l’expérience en eux-mêmes de la destinée humaine70, la mission de l’artiste devient identique à celle du Christ. Il doit inviter chaque individu à traverser en explorateur solitaire cette vallée de larmes qu’est la terre à la recherche du Buisson ardent du prophète inspiré et tendre à ne faire qu’un avec Dieu71.
***
Toute la vie de Schönberg est à l’image de son autoportrait de 1911 qui le montre marchant sur le trottoir. Après avoir dépassé ses multiples crises, en grande partie grâce à la peinture, il peut affirmer : Que ce soit vers la droite, la gauche, en avant, en arrière, que tu montes ou que tu descendes, il faut continuer ta marche sans te demander ce que tu quittes, ni ce qui t’attend72.
A la fin de sa vie, Schönberg jette un regard lucide sur ce qui différencie son activité de peintre de celle de compositeur : le professionnalisme. Loin de renier son œuvre picturale, il est parfaitement conscient du fait que la réunion de ces deux arts lui a permis de poursuivre une contrainte intérieure73 plus forte que son éducation et d’obéir à une évolution naturelle plus puissante que sa formation artistique. Avec une audace juvénile, le compositeur-peintre Schönberg propose au monde de la musique de se libérer de l’aspect féodal que peut représenter l’organisation tonale pour certains compositeurs à l’aube du XXe siècle. Comme le rapporte Milan Kundera, chaque tonalité est une petite cour royale. Le pouvoir y est exercé par le roi (le premier degré) qui est flanqué de deux lieutenants (le cinquième et le quatrième degré). Ils ont à leurs ordres quatre autres dignitaires dont chacun entretient une relation spéciale avec le roi et ses lieutenants. En outre, la cour héberge cinq autres notes qu’on appelle chroma- tiques. Elles occupent certainement une place de premier plan dans d’autres tonalités, mais elles ne sont ici qu’en invitées. […] Un jour un grand homme a constaté qu’en mille ans le langage de la musique s’était épuisé et ne pouvait plus que rabâcher continuelle- ment les mêmes messages. Par un décret révolutionnaire il a aboli la hiérarchie des notes et les a rendues toutes égales. Il leur a imposé une discipline sévère pour éviter qu’aucune n’apparaisse plus souvent qu’une autre dans la partition et ne s’arroge ainsi les anciens privilèges féodaux. Les cours royales étaient abolies une fois pour toutes et remplacées par un empire unique fondé sur l’égalité appelée dodécaphonie74.
En proposant cette nouvelle organisation du matériau sonore, Schönberg démontre que l’art ne vient pas du Pouvoir mais du Devoir75. Il affirme que l’expression musicale n’est plus réservée à l’évocation d’une harmonie idéale qu’il incomberait à l’artiste de restaurer, mais qu’elle est aussi en mesure d’exprimer l’angoisse que ressent l’Homme devant l’inhumanité qui l’habite et qui, à tout instant, peut le faire régresser vers la Barbarie. La prise de conscience de cette réalité devrait contribuer à engager le compositeur sur la voie d’un réveil de l’Internationale de l’esprit et de la République de l’esprit76. Il oppose clairement l’artisan ou homme de talent qui, développant ses talents naturels et apprenant des autres et de l’art, peut faire quelque chose, à l’artiste ou homme de génie qui, n’apprenant que de lui-même et de sa propre nature, doit faire ce qui s’impose à lui sans discuter. Seul l’« homme de génie » peut et doit donner forme à la future humanité77.
Peu de temps avant sa mort, Schönberg, qui a accepté la présidence d’honneur de l’Académie de Musique de Jérusalem, écrit à son directeur Frank Pelleg (1910-1968) qu’une telle institution devrait avoir une signification universelle, afin qu’elle soit apte à servir de contrepartie à une humanité de plus en plus vouée à un matérialisme amoralisant et uniquement préoccupé de lucre. Un matérialisme derrière lequel toutes les conditions éthiques préalables de notre art disparaissent de plus en plus. Il ne s’agit pas de former uniquement des instrumentistes habiles à s’adapter au besoin général de divertissement mais de véritables prêtres de l’Art qui abordent l’art avec la même consécration que les prêtres abordant l’autel de Dieu car […] la tâche des musiciens israélites est de donner au monde un modèle qui sera seul capable de faire fonctionner à nouveau nos âmes, ainsi que l’exige le plus haut développement de l’humanité78. Schönberg nous laisse une œuvre musicale dont l’unité immédiatement perceptible n’est plus technique mais dramatique. Ses compositions pianistiques nous introduisent admirablement dans cet univers sonore qui, délaissant une sensibilité particulière, engage l’homme entier et témoigne d’une vérité métaphysique.
Gérard Sutton
Qu’on joue une de mes œuvres et qu’on laisse le public découvrir lui-même quelle région de la pensée et de l’émotion est touchée par ce que le compositeur peut lui dire…
Arnold Schönberg
Notes
1 Lettre d’Arnold Schönberg à Ludwig Grote, 10 juin 1949, in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, coll. Musiques & Musiciens, éd. Jean-Claude Lattès, pp. 280-281.
2 Werner Hofmann, « Les trois regards de Schönberg » in Arnold Schönberg, Regards, éd. Paris-Musées, Paris, 1995, pp. 37-38.
3 Vienne est alors gouvernée par la bourgeoisie libérale triomphante qui cherche à inscrire dans l’urbanisme ses idéaux politiques. C’est la construction du « Ring » à l’emplacement des anciennes fortifications et des principaux bâtiments de style « historiciste » comme le Parlement, l’Hôtel de ville, l’Université et le Théâtre. La capi- tale impériale doit tirer sa force de la paix et de la loi et être embellie par les arts. Cette nouvelle politique tournée vers la laïcité favorise, au sein de la communauté juive, le courant « assimilationniste» auquel appartient la famille Schönberg.
4 Karl Lueger est élu maire de Vienne en 1895 et son parti remporte les élections gé- nérales en 1900.
5 Rudolf Steiner est né en Croatie où il fait ses études avant de venir à Vienne. Il écrit en 1894 La Philosophie de la liberté qui contient les bases de son enseignement. Confé- rencier très écouté, il est nommé en 1902 Secrétaire Général de la section allemande de la « Société Théosophique » et espère promouvoir une synthèse entre le christianisme et les mystiques orientales. En 1910, il publie son ouvrage principal intitulé La Science occulte. Déçu, Steiner se retire de cet organisme et crée en 1913 l’association de l’« Anthroposophie » dont le siège est fixé à Dornach, près de Bâle. Il dessine et fait réaliser en cette ville un Théâtre idéal pour recevoir ses « Drames-Mystères».
6 Formule schönbergienne que l’on retrouve dans de nombreux écrits du compositeur dont « La composition avec douze sons » in Le style et l’idée, éd. Buchet/Chastel, Paris 1977, p. 164.
7 In Sexe et Caractère (1903).
8 In Trois Etudes sur la sexualité (1903).
9 Arnold Schönberg, 1938, cité par Jelena Hahl-Fontaine in Kandinsky et Schönberg, Documentation sur une amitié artistique, éd. Contrechamps, Genève, 1995, pp. 130- 131.
10 Sarkis, « L’autoportrait d’un autodidacte », in Arnold Schönberg, Regards, op. cit. p. 15.
11 Arnold Schönberg, Journal de Berlin, 2 février 1912, coll. Détroits, éd. Christian Bour- gois, Paris 1990, p. 22.
12 La première pièce, Mässig, est composée le 19 février 1909 ; la deuxième pièce, Mässige Achtel, le 22 février 1909 et la troisième pièce, Bewegt, le 7 août 1909. Les Trois pièces pour piano (opus 11) sont créées à Vienne le 14 janvier 1910 par Etta Wern- dorff et révisées par le compositeur en 1924.
13 Lettre d’Arnold Schönberg à Emil Hertzka, le 7 mars 1910, in Arnold Schönberg Cor- respondance 1910-1951, op. cit. p. 19.
14 Cette exposition d’octobre 1910 sera l’unique exposition des oeuvres picturales d’Arnold Schönberg dans son pays natal jusqu’en 1969.
15 Cité par Robert Fleck, « La peinture de Schönberg et la modernité viennoise », in Arnold Schönberg, Regards, op. cit. p. 21.
16 Cité par Jelena Hahl-Fontaine in Kandinsky et Schönberg, op. cit. p. 129.
17 Cette œuvre est créée à Vienne, le 8 septembre 1907, par le Quatuor Rosé et les membres de l’orchestre de l’Opéra. En 1949, le compositeur juge son œuvre de la façon suivante : Je parvins à établir ici une interaction étroite en associant la mélodie à l’harmonie, l’une et l’autre assurant la fusion des relations tonales éloignées en une parfaite unité. J’avais ainsi tiré les conséquences logiques des problèmes que j’avais tenté de résoudre et j’avais en même temps abouti à un progrès considérable dans la libération de la dissonance. [in Le style et l’idée, « Comment je me juge ; retours en arrière », op. cit. p. 68.]
18 Cité par Robert Fleck in « La peinture de Schönberg et la modernité viennoise » in Arnold Schönberg, Regards, op. cit. p. 27.
19 Trois pièces pour piano (1894) et Six pièces pour piano quatre mains (1897).
20 Le piano n’est qu’un instrument mais apparemment moins pour les musiciens que pour les pianistes. Peut-être est-ce là la raison de sa popularité ? [Arnold Schönberg, Journal de Berlin, 23 janvier 1912, op. cité, p. 16].
21 Lettre d’Arnold Schönberg à Andrew J. Twa, 29 juillet 1944, in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. p. 222. Voir aussi « Haro sur le spécialiste » (vers 1940), in Le style et l’idée, op. cit. pp. 297-298.
22 Olivier Revault d’Allonnes définit ainsi la « tonalité » : Dans le système tonal, chaque note, chaque degré de la gamme utilisée se voit affecté d’une fonction à la fois mélo- dique et harmonique, déterminée et impérative. [Olivier Revault d’Allonnes, Aimer Schönberg, éd. Christian Bourgeois, Paris 1992, p. 60.]
23 C’est en particulier le cas pour la troisième pièce, « Bewegt ».
24 La première pièce, « Mässig », propose un temps musical instable en raison de nombreux changements de tempi. Nous trouvons aussi parmi les modes de jeu le « Tasten tonlos niederdrücken » qui consiste à maintenir enfoncées certaines touches à l’aide des seuls doigts de la main droite, ce qui permet au jeu de la main gauche de faire résonner les cordes par sympathie. La deuxième, « Mässige achtel » oppose un osti- nato lent et grave à des éléments vifs, violents et dans le registre de l’aigu. La troi- sième pièce, « Bewegt », explore les contrastes lent/vif, léger/lourd, piano/forte en terme de complémentarité et non seulement d’opposition. Dans ces Trois pièces pour piano (opus 11) Schönberg remet particulièrement en cause les présupposés idéolo- giques issus de la pensée pythagoricienne et qui établissaient une hiérarchie entre les intervalles dits « symphonies » (intervalles solaires symbole de la Raison) et « diaphonies » (intervalles lunaires symbole du sensible), le mode majeur et le genre dia- tonique (mode et genre solaires, symbole de la Raison et de la Lumière), et le mode mineur et le genre chromatique (mode et genre lunaires, symbole de Sensible et des Ténèbres).
25 Arnold Schönberg, Journal de Berlin, 22 janvier 1912, op. cit. p. 14.
26 Arnold Schönberg, Theory of Harmony, éd. University of California Press, Berkeley, Los Angeles, 1978, pp. 402-403.
27 Lettre de Franz Marc à Auguste Macke, 14 janvier 1911, cité par Jelena Hahl-Fontaine, op. cit. pp. 100-101.
28 Max Nordau publie en 1892 son ouvrage très controversé intitulé Entartung (Dégé- nérescence) et consacré à la littérature européenne de la fin du XIXe siècle. Cette po- sition de l’un des pères fondateurs du sionisme laisse de profondes blessures chez Arnold Schönberg qui, le 28 mars 1946, écrit au Rédacteur en chef de l’Annuaire juif : Si j’en crois mon expérience, les juifs me considèrent d’un point de vue racial plutôt qu’artistique. Ils me donnent donc une moins bonne note qu’à leurs idoles aryennes. [in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. p. 243.]
29 Arnold Schönberg in « Interview avec Halsey Stevens » en 1950. Cité par Robert Fleck, op. cit. p. 26..
30 Cité par Jelena Hahl-Fontaine, op. cit. p. 130.
31 Wassily Kandinsky, cité par Dora Vallier, in La rencontre Kandinsky-Schönberg, éd. L’Echoppe, Caen, 1987, p. 23.
32 Wassily Kandinsky écrit un texte intitulé « Les tableaux » qui est paru dans Arnold Schönberg – in höchster Verehrung, éd. R.Piper & Co Verlag, Munich, 1912. C’est un ouvrage commémoratif réalisé à l’initiative d’Alban Berg et d’autres amis en hom- mage à Arnold Schönberg et qui lui fut remis à l’occasion d’un concert donné en la ville de Prague le 29 février 1912.
33 Les pièces n°1 à 5 (Leicht, zart ; Langsam ; Sehr langsame Viertel ; Rasch, aber leicht ; Etwas rasch) sont composées le 19 février et la pièce n° 6 (Walzer) le 17 juin 1911. Elles sont créées le 4 février 1912 à Berlin par Louis Closson.
34 Lettre d’Arnold Schönberg à son éditeur Hertzka, 31 octobre 1911, cité par Werner Hofmann, « Les trois regards de Schönberg », op. cit. p. 33. Quand les autorités vien- noises l’invitent à regagner la capitale autrichienne, le compositeur leur répond le 29 juin 1912 : […] à l’heure actuelle, je ne peux pas vivre à Vienne. Je ne suis pas encore remis de ce que l’on m’y a fait, je ne suis pas encore réconcilié… » [cité par Werner Hofmann, op. cit. p. 33].
35 Lettre de Wassily Kandinsky à Arnold Schönberg, 26 janvier 1911, cité par Jelena Hahl-Fontaine, op. cit. pp. 138-139.
36 Lettre de Wassily Kandinsky à Arnold Schönberg, 18 janvier 1911, Ibid, op. cit. pp. 136-137.
37 Wassily Kandinsky, L’Almanach du Blaue Reiter, cité par Dora Vallier, op. cit. p. 19.
38 Wassily Kandinsky, cité par Dora Vallier, op. cité p. 20. Le peintre reproche à Richard Wagner de ne pas avoir compris l’importance de la couleur et de ne l’avoir employée que d’une façon extérieure, en tant que décor. En revanche, il loue le mérite d’Alexan- der Scriabine qui, dans son Prométhée, a su saisir la profonde unité du son et de la couleur.
39 Arnold Schönberg, Journal de Berlin, 23 janvier 1912, op. cit. p. 20.
40 Lettre d’Arnold Schönberg à Ernst Legal, 14 avril 1930, in Arnold Schönberg, Corres- pondance 1910-1951, op. cit. p. 140.
41 Arnold Schönberg, Conférence de Breslau sur Die glückliche Hand, 1928, cité par Je- lena Hahl-Fontaine, op. cit. pp. 205-206.
42 Lettre de Wassily Kandinsky à Arnold Schönberg, 05 février 1914, Ibid., op. cit. p. 179.
43 Lettre de Wassily Kandinsky à Arnold Schönberg, 18 janvier 1911, Ibid., op. cit. pp. 100-101.
44 Encore faut-il veiller, prévient le compositeur, à ce que cette intuition ne se perde jamais dans une théorie ! [Lettre d’Arnold Schönberg à Wassily Kandinsky, 24 janvier 1911, Ibid., op. cit. pp. 136-137].
45 Lettre d’Arnold Schönberg à Wassily Kandinsky, 14 décembre 1911, Ibid., op. cit. p. 152.
46 Lettre d’Arnold Schönberg à Wassily Kandinsky, 24 janvier 1911, Ibid., op. cit p. 137. 47 Lettre d’Arnold Schönberg à Wassily Kandinsky, 08 mars 1912, Ibid., op. cit. p. 164. 48 Arnold Schönberg, Journal de Berlin, op. cit. pp. 54-55.
49 Le 16 septembre 1946, dans une Lettre à des amis, Arnold Schönberg souligne qu’il y a trente-sept ans, il avait déjà prédit dans un aphorisme que la deuxième moitié du XXe siècle « gâtera en le surestimant ce que la première moitié avait laissé intacte en le sous-estimant ». [in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. p. 299]
50 Se référer à Arnold Schönberg, « La composition avec douze sons », in Le style et l’idée, op. cit. pp. 155-193.
51 N°1 – Sehr langsam (Très lent), N°2 – Sehr Rasch (Très rapide). Ces deux pièces ont été créées à Vienne le 9 octobre 1923 par Eduard Steuermann.
52 N°3 – Langsam (Lent), N°4 – Schwungvoll (Avec élan), N°5 – Waltz (Valse).
53 Cette théorie est largement esquissée par Joseph Matthias Hauer (1883-1959) dans son ouvrage de 1920, Traité de musique atonale. Ce qui différencie les approches d’Ar- nold Schönberg et de Joseph Matthias Hauer c’est que le premier invente pour chaque œuvre une nouvelle série tandis que le second définit un certain nombre de séries (44 « tropes » de six sons) parmi lesquelles il en choisit une.
54 Cette règle n’est pas respectée de façon rigoureuse dans toutes les œuvres du com- positeur. Il s’en justifie dans l’analyse de la Suite für Klavier (opus 25) qu’il nous pro- pose dans son article La composition avec douze sons. [in Arnold Schönberg, Le style et l’idée, op. cit. pp. 178-180].
55 Arnold Schönberg, « De quelques compositeurs », Le style et l’idée, op. cit. p. 304.
56 Arnold Schönberg, « La composition avec douze sons », Ibid., op. cit. p. 171.
57 Arnold Schönberg, « L’exécution et la notation », Ibid., op. cit p. 257.
58 Arnold Schönberg, « L’exécution et la notation », Ibid., op. cit.p. 267.
59 Ce qui nous donne dans l’ordre : n°1=Prélude, n°2=Gavotte, n°3=Musette, n°4=In- termezzo, n°5=Menuet, n°6=Gigue.
60 Les quatre dernières notes nous offrent dans le désordre le « B.A.C.H » à savoir « B.C.A.H ».
61 Lettre d’Arnold Schönberg à Walter E. Koons, avril 1934, in Arnold Schönberg, Cor- respondance 1910-1951, op. cit. pp. 188-189.
62 Arnold Schönberg, « De quelques compositeurs », Le style et l’idée, op. cit. p. 304.
63 Si Moïse représente la Loi, c’est Aaron qui sait parler aux foules, et le 1er octobre 1945, Schönberg rappelle à René Leibowitz qu’il ne compose pas des principes mais de la musique. [Lettre d’Arnold Schönberg à René Leibowitz, 1er octobre 1945, in Ar- nold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cité p. 240].
64 Lettre d’Arnold Schönberg à Wassily Kandinsky, 20 avril 1923, in Arnold Schön- berg, Correspondance 1910-1951, op. cit. p. 84.
65 Lettre d’Arnold Schönberg à Wassily Kandinsky, 4 mai 1923, in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. pp. 88-89.
66 Dora Vallier, La rencontre Kandinsky-Schönberg, op. cit. p. 23.
67 Arnold Schönberg, « La réduction pour piano telle qu’on devrait la pratiquer aujourd’hui » (1923), Le style et l’idée, op. cit. pp. 267-268.
68 Arnold Schönberg est naturalisé américain le 11 avril 1941. Parmi les œuvres importantes écrites aux Etats-Unis, nous pouvons signaler Kol Nidre pour récitant, chœur et petit orchestre (opus 39 ; 1938), le Concerto pour piano (opus 42 ; 1942), le Trio pour violon, violoncelle et piano (opus 45 ; 1946) et Un survivant de Varsovie pour récitant, chœur d’hommes et orchestre (opus 46 ; 1947). Dans une lettre adressée à G. F. Stegmann le 26 janvier 1949, il pose un regard très lucide sur la situation de la musique aux Etats-Unis à son époque. Le public n’est pas prêt à recevoir sa musique et si les américains apprennent vite, ils le font surtout en suivant des théories et des conférences plutôt que par l’étude des grands maîtres. Il craint de voir cette nation conquérante s’apprêter à produire de la musique à la chaîne afin d’établir son hégémonie dans le monde musical et ose espérer, dans une lettre adressée à Rudolf Kolisch le 12 avril 1949, que les compositeurs américains ne parviendront pas à inonder l’Europe et la traiter comme une colonie. Mais il s’inquiète pour la musique des effets néfastes qui pourraient naître de l’hégémonie de l’économie américaine sur le monde, et en particulier en Europe. [in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. pp. 274 et 278].
69 Arnold Schönberg cité par Harry Halbreich in Autour de Moïse et Aaron d’Arnold Schönberg, livret du disque CBS n°79201, p.15.
70 Arnold Schönberg (1910), cité par Carl E. Schorske, Vienne fin de siècle, politique et cul- ture, éd. Seuil, Paris 1983, p. 330.
71 Arnold Schönberg, Moïse et Aaron.
72 Paroles de l’Archange Gabriel dans le texte de l’Oratorio L’Echelle de Jacob. Cité par Gustave Kars « Le siècle de Bruckner, De Mahler à l’école sérielle », in La Revue Musi- cale, Le siècle de Bruckner n° 298/299, Paris 1975, p. 130. Le compositeur reconnaît, dans une lettre adressée au Président de l’Institut national des Arts et Lettres de New York, le 22 mai 1947, qu’il n’a peut-être qu’un seul mérite, celui de n’avoir « jamais renoncé ». [in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. p. 251].
73 Arnold Schönberg, « Problèmes de l’enseignement artistique » (1911), cité par Je- lena Hahl-Fontaine op. cit. p. 111.
74 Milan Kundera, Le livre du rire et de l’oubli, coll. Folio, éd. Gallimard, Paris 1985, pp. 287/290.
75 Arnold Schönberg, « Problèmes de l’enseignement artistique » (1911), cité par Je- lena Hahl-Fontaine, op. cit. p. 111.
76 Lettre d’Arnold Schönberg à Monsieur E. Fromaigeat, 22 juillet 1919, in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. pp. 60/61.
77 Arnold Schönberg, « L’enseignement », Le style et l’idée, op. cit. p. 281 et Arnold Schönberg, Journal de Berlin, op. cit. p. 23. Dans une lettre adressée à K. Aram, le 15 novembre 1947, le compositeur dit avoir renoncé au succès immédiat et que, avec ou sans succès, c’était son devoir historique d’écrire ce que son « destin » lui ordonnait d’écrire. [Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit.p. 256].
78 Lettre d’Arnold Schönberg à Frank Pelleg, 26 avril 1951, in Arnold Schönberg, Cor- respondance 1910-1951, op. cit. p. 296.
79 Lettre d’Arnold Schönberg à Helen Heffernan, 19 septembre 1943, in Arnold Schönberg, Correspondance 1910-1951, op. cit. p. 221
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Enregistrement/Sound Michel Maurer, piano
Remerciements/special thanks : Benoist Baillergeau, Françoise Rivalland, Phillipe Nahon, David Jisse & Floriane Dané
Enregistré, monté et mixé/recorded, edited and mixed by Christophe Hauser, studio La Muse en Circuit – Centre national de création musicale, à la Fondation Tibor Varga (Sion, Suisse) les 28, 29 et 30 septembre 2004/on September 28, 29 & 30th 2004 avec le concours précieux de Françoise Rivalland Piano Steinway, accord/tuning: Joël Jobé
Edition
Textes : Gérard Sutton Traductions : John Tyler Tuttle Photos : © Arthur Péquin Reproductions : Arnold Schönberg Center, Wien © ADAGP, Paris 2007 production : Ars Nova ensemble instrumental coproduction: La Muse en Circuit – Centre National de Création Musicale
Production l’empreinte digitale et Ars nova Direction éditoriale et de production, conception et mise en pages : Catherine Peillon
p et © NSNumen 2007
Michel Maurer
Michel Maurer étudie le piano aux conservatoires de Metz et d’Avignon puis au CNSM de Paris, où il obtient un premier prix de piano dans la classe d’Aldo Ciccolini ainsi qu’un premier prix de musique de chambre. Lauréat des concours internationaux Alfred Cortot (Milan, 1977) et Acanthes (Paris, 1984) il se perfectionne également aux côtés de Carlos Roque-Alsina, Vlado Perlemuter, Claude Helffer,…
Michel Maurer se produit en récital et en musique de chambre en France et à l’étran- ger (Allemagne, Autriche, Suisse, Pays-Bas, Japon), démontrant à chacune de ses pres- tations son intérêt particulier pour la musique du XXe siècle et pour la création. Pianiste de l’ensemble instrumental Ars Nova, invité de prestigieux festivals consacrés à la musique contemporaine (Présences de Radio France, Sons d’hiver, Agora, Archipel de Genève, …), Michel Maurer est un musicien polyvalent qui se passionne pour l’im- provisation, réalise les musiques de différentes œuvres radiophoniques et vidéos et participe à de nombreux projets pluridisciplinaires (théâtre musical, spectacles mu- sicaux et chorégraphiques).
Enregistrements :
-“Piano-Piano”, œuvres de Luc FERRARI pour 1 et 2 pianos, avec Christine LAGNIEL (Auvidis Montaigne MO 782110) :“ Diapason d’or ”, nomination aux “ Victoires de la Musique 1999 ”.
- Luc FERRARI “ Collection ”, œuvres pour piano, percussion et sons mémorisés,
avec Françoise RIVALLAND (L’empreinte digitale ED13171)
-“Sol, suelo, sombra y cielo” avec “TRANSES EUROPEENNES ”, musique composée par Pablo CUECO (Buda MusiqueTE 0023).
- “Adi Anant” avec “TRANSES EUROPEENNES” et Hariprasad CHAURASIA (Navrasrecords NRCD6002)
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