Ivan Fedele – Accroche Note
7 mai 2004 – ED13198
Distinctions : 5 de Diapason (novembre 2004) – 4 étoiles du Monde de la Musique (septembre 2004)
1 disque – 10 pistes – Durée totale : 00:59:05
Ivan Fedele – Accroche Note
7 mai 2004 – ED13198
Distinctions : 5 de Diapason (novembre 2004) – 4 étoiles du Monde de la Musique (septembre 2004)
1 disque – 10 pistes – Durée totale : 00:59:05
Il y eut la génération de compositeurs nés dans les années 20 : Nono, Stockhausen ou Boulez. Puis, après les brutales ruptures des années 50, se manifesta avec la génération d’après-guerre – le Français Manoury, l’Allemand Rihm ou l’Italien Fedele – un retour aux modèles d’écriture traditionnels. À la différence de leurs prédécesseurs, ces musiciens ne se sont pas préoccupés de rupture, mais ont préféré écrire dans un idiome déjà existant des musiques parfaitement nouvelles.
Le langage pourtant parfaitement contemporain de Fedele ne repousse aucunement les équilibres de tonalité, le lyrisme pur et chantant (c’est un Italien, après tout !) ; entre hypnose musicale et envoûtement sonore, sans oublier quelques délicieuses incursions dans une certaine raillerie (l’inclusion sournoise de Ah ça ira dans paroles y palabras), Fedele cherche avant tout l’émotion musicale pure et offre un large éventail d’invention et de fantaisie qui assure la relève de la composition contemporaine italienne. Ce sont ici les œuvres les plus récentes de ce compositeur secret.
Françoise Kubler, soprano – Armand Angster, clarinette, clarinette basse – Mario Caroli, flûte – Marie Violaine Cadoret, violon – Christophe Beau, violoncelle – Gregory Johns, violoncelle – Luigi Gaggero, cymbalum – Michèle Renoul, piano – Emmanuelle Séjourné, vibraphone et marimba
Maja (1999) pour soprano et 6 instruments
isrc : FRV630300041
isrc : FRV630300042
isrc : FRV630300043
Erinni (1998) pour cymbalum, piano et vibraphone
isrc : FRV630300044
Paroles y palabras (2001) pour soprano et violoncelle
isrc : FRV630300045
isrc : FRV630300046
isrc : FRV630300047
isrc : FRV630300048
Modus (1995) pour clarinette basse et percussion clavier
isrc : FRV630300049
Imaginary Islands (1992) pour flûte, clarinette basse et piano
isrc : FRV630300050
On pourrait, par un raccourci simplificateur mais historiquement justifié, rapporter la création musicale dans la seconde moitié du XXe siècle au rayonnement de deux générations de compositeurs. Celle des pionniers du modernisme nés dans les années 20, les Berio, Boulez, Nono ou Stockhausen et celle des représentants d’une ample synthèse, nés dans les années 50. Nullement préoccupés de rupture – à la différence de leurs prédécesseurs – avec les mouvements environnants, ces derniers se manifestent par une conjonction personnelle d’innovation et de continuité parvenue, le plus souvent, à maturité au cours de la dernière décennie du siècle. Aux côtés du Français Philippe Manoury, de la Finlandaise Kaija Saariaho et de l’Allemand Wolfgang Rihm (tous trois nés en 1952), l’Italien Ivan Fedele (leur cadet d’un an) symbolise parfaitement cette génération de traits d’union (entre la référence et l’inouï, l’écrit et l’indéterminé, la note et le son) ainsi qu’en témoigne la présente sélection de pièces de musique de chambre écrites entre 1992 et 2001. Maja (1999) oppose la nature volatile de la voix au caractère matériel de six instruments. L’œuvre, très séquentielle, s’ouvre sur des éclats de son détachés d’une note pivot par une sorte de burin instrumental. Tandis que la partie de soprano verse dans l’envolée mélodique, celle du sextuor procède par incisions répétées. Après avoir donné l’impression de se fixer sur le mode traditionnel du chant accompagné, la musique reprend (un ton plus haut) son pilonnage originel. Mais cette fois, la voix ne suit plus. Elle abandonne la proclamation véhémente (d’un poème de Giuliano Corti) pour le murmure de paroles que le piano caverneux semble entourer de mystère. Une constante dans le travail compositionnel de Fedele vient ici de se dégager. Elle consiste en un retournement de situation expressive. À l’exposé en pleine lumière qui paraissait (première partie incisive) marquer le territoire de Maja succède une révélation dans la pénombre (parenthèse suspensive) qui va finalement constituer la dominante du morceau. Un monde extatique se présente alors, tout en étirements voluptueux, en ondulations serpentines et en échos mirifiques. La musique va en se simplifiant. La voix tourne à l’incantation et le sextuor plonge dans ses vagues hypnotiques. Un dernier murmure livre le sens du poème dédié à l’apparence démasquée, à la supériorité de l’essence et de la radieuse intuition : « viva la volonta, non di vita, ma di luce ». Le piano, de nouveau à l’attaque de la façade, referme cette parenthèse de réflexion créatrice. Erinni (1998) s’inspire aussi d’un poème (extrait d’Il volume del canto d’Alda Merini) mais, conformément à l’écoute de l’inconscient qui en constitue la marque, le considère à distance (avec diverses applications techniques) sans jamais le faire entendre. Cette pièce, se référant par son titre aux mythes des Erinnyes (divinités défendant l’ordre du monde dans la mythologie grecque) est née pour célébrer les soixante-quinze ans de György Kurtag. Au cymbalum, instrument très prisé par le compositeur hongrois, sont intimement associés un piano et un vibraphone dans une extrême mouvance de timbre. Parfois orienté vers un univers folklorisant, le trio se laisse aussi gagner par des sonorités de type urbain comme celles d’un synthétiseur en usage dans le jazz-rock. Cette dérive entre deux perspectives esthétiques est encore plus nette sur le plan cinétique. Erinni débute par une batterie spectrale au devenir millimétré. Mais, contre toute attente, ce déroulement impérieux ne dure pas. Il est contrecarré par une libre montée d’ondes planantes. La dynamique de l’œuvre est en place : d’une part, une force compacte qui va de l’avant et d’autre part, un flux disparate surgi de derrière. Entre motorisme cadencé et abandon féerique, la musique ne tranchera qu’en fin de parcours sous une forme elliptique comparable au principe originel du poème jamais cité. Paroles y Palabras (2001) est un cycle de quatre pièces dont le titre laconique fournit la matière première du chant. De la révolution française (Allons…, et Ça ira) à la guérilla sud-américaine incarnée par Che Guevara (Querida presencia, Hasta siempre), le climat est à la rébellion. Chaque volet de Paroles y Palabras peut alors être interprété comme une échappée musicale au sens large. Allons… amorce une ligne de fuite phonétique à partir du mot emprunté. Au sein d’un duo de plus en plus distendu, la soprano semble s’écarter progressivement de la voie tracée par le violoncelle. Elle s’en dégage, s’élève, s’épanouit puis retombe subitement à son point de départ. Ça ira zigzague sous l’impulsion du violoncelle dans de multiples contrées musicales. Querida presencia passe de l’atmosphère enjouée à la mélancolie diffuse selon une mutation antithétique que Ivan Fedele amplifie dans Hasta siempre entre présence activiste et retrait poétique. Modus (1988, révisée en 1995) évoque par son titre le développement autant modulaire que modal effectué à partir d’une figure chromatique de trois notes. De cette matrice facilement identifiable résultent une demi-douzaine de séquences parfois sans rapports apparents les unes avec les autres. Le vibraphone anime une phase d’éveil dans laquelle les événements se répandent en ondes concentriques. Ludique voire improvisé, ce premier état de la matrice va en engendrer un deuxième, d’une volubilité sinueuse, puis un troisième, en quête d’équilibre et de régularité. Après une extension lyrique de la clarinette basse avec vibraphone en apesanteur, un bref épisode de vigoureux bourgeonnement bute sur le silence. L’ultime choral procède à la dissolution du propos initial dont les contours sont notamment estompés par des micro-glissandos. Imaginary Islands (1992) expérimente un mode de relation complexe entre micro- et macrostructures à partir de l’observation d’objets fractals. Comme l’indique son titre, cette œuvre en forme d’archipel conduit l’auditeur entre divers îlots de musique. Le premier s’appréhende dans une explosion de matériau. Le suivant naît d’un enchevêtrement sensuel des couches instrumentales. Un déploiement unilatéral du trio intervient ensuite pour accéder à une plage enchanteresse. Les contributions au rêve se poursuivent. Ici, le piano sert de rampe de lancement aux fusées de ses partenaires. Là, le trio se fond dans une étendue de mica scintillant…Au fur et à mesure de la progression, les sections sont moins compartimentées et, comme pour le parcours global de ce disque, l’impression générale importe plus que la couleur locale. « Dans toutes mes compositions, vous pouvez trouver « l’histoire » d’un voyage oscillant constamment entre le physique et le mental, entre une attitude à la fois dynamique et contemplative » déclare Ivan Fedele. Cette dualité aura été pointée dans chacune des pièces de ce programme synthétique. Entre fond et forme pour Maja et Modus. Entre référence et abstraction pour Erinni, Paroles y Palabras et Imaginary Islands. Entre volonté et abandon, à chaque fois que Ivan Fedele prend congé de l’auditeur avec une fin aux allures d’extinction.
Pierre Gervasoni
59:12 – DDD – Enregistré en 2002 au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg et à l’Auditorium de France 3 Alsace – Notes en français et anglais
ED13198
826596025018
Ensemble de solistes formé en 1981 autour de Françoise Kubler (soprano) et Armand Angster (clarinettiste), Accroche Note investit de manière multiple le répertoire des musiques d’aujourd’hui. Chaque programme décide de la personnalité et du nombre de musiciens qui constituent l’Ensemble. La souplesse de son effectif -du solo à l’ensemble de chambre- lui permet d’aborder en différents projets les pages historiques (Brahms, Zemlinsky, la seconde École de Vienne ainsi que Stravinsky, Debussy, Dallapiccola…), la littérature instrumentale et vocale du XXème siècle (Berio, Cage, Stockhausen… pour en citer les références), mais aussi les oeuvres faisant une large part au geste instrumental (Kagel, Aperghis) et l’improvisation au travers du jazz et des musiques improvisées.
Depuis plusieurs années, l’ensemble développe une politique de commandes et travaille en étroite collaboration avec les compositeurs. Parmi les créations récentes d’Accroche Note figurent notamment des oeuvres de Georges Aperghis, James Dillon, Pascal Dusapin, Franco Donatoni, Michael Jarrell, Philippe Manoury, Marc Monnet, Ivan Fedele, Horatio Radulescu, François Bernard Mâche ou Gérard Pesson.
Cette fonction essentielle, ajoutée à l’exigence avec laquelle sont approchées les oeuvres, a permis à l’ensemble de s’imposer dans les plus importantes manifestations internationales : Musica à Strasbourg, Manca à Nice, Musica Nova à Sao Paulo et Santos au Brésil, Huddersfield en Angleterre, Musica 900 à Trento, Ars Musica à Bruxelles, Weltmusiktage à Francfort, Festival Présence à Radio France, Ultima à Oslo, Moscou, Séville, Barcelone…
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