Zad Moultaka (1967)
nouvel ensemble moderne | lorraine vaillancourt
alexandru sura | pablo márquez
ED13238 – 1 CD
. Où en est la nuit . Fanàriki . Hanbleceya
Zad Moultaka (1967)
nouvel ensemble moderne | lorraine vaillancourt
alexandru sura | pablo márquez
ED13238 – 1 CD
. Où en est la nuit . Fanàriki . Hanbleceya
Où en est la nuit présente 3 pièces pour ensemble, composées entre 2004 et 2013. Neuf ans où le langage évolue, s’affirme et mûrit. Pourtant leur succession semble si naturelle qu’on sort de l’écoute avec la sensation de s’être immergé dans une seule et même œuvre.
La nuit, la guerre, le rituel sont au cœur de l’écriture, au sein d’une tension qui se déploie sans jamais lâcher prise. Procession plutôt que progression, souvent rythmée par une grosse caisse, souvenir de cérémonies lointaines, de battements de cœur plus lointains encore, mise en abîme structurant la masse orchestrale.
Ce tropisme vers une noirceur, presque libre et joyeuse, presque voluptueuse, Lorraine Vaillancourt a su subtilement s’y inscrire avec ses musiciens. Sa précision, son élégance, sa puissance légendaires.
Cette rencontre à Montréal puis au Domaine Forget, près de l’estuaire du Saint-Laurent, fait de cette traversée de la nuit un « voyagement » du désir.
Alexandru Sura, cymbalum / Pablo Màrquez, guitare
Nouvel Ensemble Moderne de Montréal
Jocelyne Roy, flûte / Normand Forget, hautbois (2-3)
Julie Sirois-Leclerc,hautbois (1) / Martin Carpentier, clarinette
Simon Aldrich, clarinette / Michel Bettez, basson
Jocelyn Veilleux, cor / Lise Bouchard, trompette
Angelo Muñoz, trombone / Julien Grégoire, percussions
Philip Hornsey, percussions musicien invité (2)
Jacques Drouin, piano / Johanne Morin, violon
Alain Giguère, violon / François Vallières, alto
Julie Trudeau, violoncelle : Yannick Chênevert, contrebasse
Lorraine Vaillancourt, direction
1. Où en est la nuit (2013) 13’27
isrc : FRV631400046
2. à 8. Fanàriki (2004) 22’53
concerto pour cymbalum & ensemble
isrc : FRV631400047
isrc : FRV631400048
isrc : FRV631400049
isrc : FRV631400050
isrc : FRV631400051
isrc : FRV631400052
isrc : FRV631400053
9. Hanbleceya (2012) 17’20
concerto pour guitare & ensemble
isrc : FRV631400054
Obscurité d’où je tire mes origines
obscurité qui englobe tout :
formes, feux, animaux et moi-même…
Et il se peut qu’une puissante énergie
vienne à moi
Rilke, poèmes à la nuit
Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu. Ce palindrome utilisé par Guy Debord pour le titre d’un de ses films, pourrait tout aussi bien convenir à cette œuvre. Celle-ci est une plongée (catabasis) incandescente au fond de la nuit ; et pourtant il ne s’agit pas d’une chute ; la route tourne. En spirale.
L’imaginaire se construit autour de l’obscurité et conduit à la sensation nocturne, à l’expérience de la nuit. Un autre mot désigne cet espace étrange :
hypnagogie, état de transition, entre veille et sommeil, propice aux apparitions.
Ce lieu de la nuit où l’on s’immerge n’est pas la nuit totale et sans faille, plutôt la ténèbre, rêche, mate, cotonneuse, traversée d’éclairs et poursuivant en filigrane une ligne, laquelle s’amenuise ou s’épaissit, comme un trait charbonneux, bruissant au gré d’une faible lueur interne.
Diotima, l’étrangère de Mantinée, qui avait révélé les espaces entre-deux, enseigne que la poésie fait passer toute chose du non-être à l’être.
Dans cet espace, dont le compositeur dit que les événements s’y produisent en suivant les inflexions de la matière musicale, mus ou guidés par leur propre nécessité, cheminement interne de l’œuvre, les objets apparaissent, fusent, traversent le champ, l’étendue de la nuit, se déforment, se détériorent dans un moment d’une tension extrême. Des coups frappés et répétés surgissent, des échos de clameurs de la veille, échos de sons et de silences plus anciens, sifflements, comme un essaim, involontaires, obsessionnels.
Catherine Peillon
(…) Et si rien ne peut ramener l’heure
De la splendeur dans l’herbe, de l’éclat dans la fleur
Au lieu de pleurer, nous puiserons
Nos forces dans ce qui n’est plus.*1
Aucun abîme n’est réellement opaque. L’abîme recèle une force palpitante, brutale, nécessairement plus sourde et plus complexe – irait-on jusqu’à dire, une force créatrice ?
Où en est la nuit ? est la question que pourrait poser au monde un veilleur obstiné, tout entier maintenu par son désir d’éveil – elle est même, allons plus loin, la question de l’écoutant par excellence, du connaisseur le plus ingénieux de l’abîme.
Il ne s’agit pas d’écouter pour faire l’état irrémédiable du vide : bien au contraire. Il s’agit presque uniquement d’ausculter, c’est-à-dire, originellement, de tendre toute son ouïe pour traquer l’apparition du moindre éclat sonore. L’histoire de celui qui écoute est donc uniquement celle d’un corps traversé par le désir de l’accroc sonore : il demande, en quelque sorte, quelle est la nuit ouverte par les sons eux-mêmes.
Autant qu’un état de la nuit, c’est un état du monde dont il s’agit : plus largement, Zad Moultaka demande sur quel fond de monde les sons apparaissent, quelle « nuit » du monde – et, plus subtilement, quelle « nuit » de la musique – ils révèlent. Il ne peut être question, on s’en doute, que d’un monde complexe. Triplement complexe même, puisque trois « brèches » musicales sont ouvertes : Où en est la nuit, Fanàriki et Hanbleceya déploient trois domaines de la nuit, trois poétiques de « disparition vibratoire2 » où à chaque fois se lève la note absente de toutes les portées3.
L’écriture musicale de Zad Moultaka est une écriture qui prend le parti de la matière : elle fait de cette matière grouillante et sombre son principe majeur. Comme s’il ne pouvait y avoir de commencement musical hors de ce principe. Comme si, en somme, tout tirait son sens d’une quête du son primitif, du son élémentaire.
Ce qui commence, donc, ne peut commencer que dans une grande sobriété, un grand minimalisme : le rythme extrêmement soutenu de la grosse caisse, doublé synchroniquement par les accords graves du piano prépare un nœud musical qui ne cessera d’être rompu et reformé. Ce nœud originel s’enrichit jusqu’à parvenir à son point le plus aigu et le plus sifflant ; les cordes systématiquement jouées pizzicato tranchent sec et instaurent des régimes profonds de rupture. Il s’agit à chaque fois d’écarter toute forme de lyrisme au profit d’une jouissance pour la matière seule, pour la note tout à la fois exaltée et étouffée.
Où en est la nuit constitue en ce sens une recherche effrénée de la déchirure musicale.
Ce n’est que par des mouvements successifs de poussées et de résistances vers l’abîme – et n’est-ce pas là le mouvement propre à toute question – que peut se conquérir une frénésie, une ivresse musicale, une « nuit » de la note. La matière sonore ne s’enfle que pour se fracturer elle-même, pour toucher le point mat de son propre silence.
L’écriture toute entière est au fil du rasoir. Elle s’engouffre dans des espaces extrêmement ténus – espaces où il ne reste parfois qu’un souffle instrumental (jusqu’à toucher l’extrémité du souffle, jusqu’à ce que l’air soit entièrement saturé) et des espaces où la matière musicale se complexifie jusqu’au brasier. Tout tient donc à cet équilibre fragile, à cet état musical transitoire.
Bien qu’il joue sur des effets de transit et de transformation, l’ensemble de la composition ne tremble pas : au vibrato est préféré le sifflement, modification définitivement plus brutale de la note ; plus généralement, c’est par une puissance sonore percussive – et non ondulatoire – que se fait l’expérience de la nuit. Chaque note se modifie par une nécessité sourde, presque souterraine, par des réseaux internes de violence où rien ne convulse.
Où en est la nuit est une matière qui tire sa solidité de sa mobilité : il ne faut pas y voir un paradoxe quelconque. La nuit ne procure pas une sensation de clôture définitive ; elle est une extension de l’invisible, et en tant que telle, elle éveille une curiosité fondamentale : non pas pour ce qui reste indemne, mais pour ce qui disparaît. L’écriture musicale, émaillée par de nombreuses ruptures, dit donc par sa métamorphose constante, la férocité de toute disparition.
Les sept mouvements de Fanàriki ouvrent un autre espace de la nuit. Un espace beaucoup plus tendu puisqu’interviennent, au sein même de la composition, des «chants de guerre», poèmes d’Ivan Silinski dont l’écriture extrêmement serrée crée des sondes de violence. C’est sous l’impulsion de variations musicales extrêmement riches que se fait et se défait cette violence : elle opère musicalement, certes, mais aussi, et de manière concomitante, par le texte.
Le texte fonctionne ici exactement comme un langage musical : « sans clôture », il va opérer des « disséminations4 » du sens, des diffractions continues. Le texte de Silinski et l’écriture musicale de Zad Moultaka procèdent donc ensemble à une traversée poétique : la quête du son ou du chant primitif est doublée par la recherche d’un langage « brut », épais – le langage poétique par excellence ?
Dans cette traversée du jour à la nuit, voilà déjà que persistent de « petites lumières » sonores et linguistiques. Ce souci pour le détail de la langue, pour ses particularismes sonores au-delà de ses unités de sens est fécond musicalement.
Les textes de Silinski sont explorés dans leur rugosité, dans leur matière onomatopéique (deuxième et cinquième mouvements en particulier) : cette rugosité est régulièrement multipliée par les régimes de tensions sonores inaugurés tantôt par le couple piano – cymbalum, tantôt par les diverses instances percussives.
Si, dans le premier mouvement, le texte apparaît presque nu, dans un chuintement que quelques frappes (grosse caisse) viennent rompre, il est en revanche intégré à un ensemble instrumental beaucoup plus complexe et plus dense dans le deuxième. Les sonorités trillées (flûte, hautbois, clarinette et piano) propagent les ondes de choc musicales du texte poétique. Le texte qui émerge dans toute sa pesanteur et sa régularité est progressivement étiolé par de longs crépitements (quelque chose brûle ?) jusqu’à ce que ce fourmillement de matière soit sèchement suspendu. De cette violence monumentale ne peut naitre qu’un silence âpre.
Zad Moultaka travaille donc à la fois à l’écart et à la dissolution du texte : le poème n’est pas une unité organique, il est un jeu – une matière sonore extrêmement plastique. C’est par ces écarts que se forment des archipels de violence.
Le troisième mouvement est peut-être une des explicitations les plus concrètes de cet écart. Les sonorités lentes et expressives sont en butte à une froideur instrumentale sans appel : le champ musical ainsi ouvert est un champ complètement désolé. Oscillant entre la douceur d’un conte musical et l’aigreur lancinante du cymbalum, l’écriture musicale devient véritablement une écriture de la violence. Il n’y a de violence en effet que lorsque tout onirisme – aussi enfantin soit-il – est aussitôt tempéré par une pesanteur sourde.
L’appel à la rêverie est profondément ambigu : il est à chaque fois interrompu et désespéré. Cette ambiguïté est un véritable leitmotiv qui traverse à la fois le texte et la matière sonore. Tout songe est précipité vers sa propre chute, plongé dans une agitation sonore extrême (quatrième mouvement) pour finalement toucher le point maximal de cruauté. Voilà qu’ici le jeu se renverse.
Ce renversement étayé par de nombreuses attaques percussives (temple-blocks, toms, marimba, cymbalum, flexatone) crée une étrangeté rythmique qui fait basculer le conte enfantin dans une ritournelle de cruautés. La crécelle n’augure plus la célébration d’un jeu ingénu de l’enfance : il annonce, comme cela était d’usage au Moyen-Age, un fléau sans rédemption possible.
Il semblerait donc que musique et texte s’enfoncent en même temps dans les cercles infernaux les plus reculés. La voix poétique, à présent simple murmure, est enveloppée d’un manteau de gravité sonore. C’est à cet instant pourtant – là où la tension est à son plus haut point – qu’au lieu d’exploser (comme le laissaient suggérer les attaques de la grosse caisse), les matières sonores et textuelles disparaissent. Dans l’instant même où le poème prononce la formule de sa propre disparition, l’écho et son double (piano et cymbalum) s’absentent peu à peu jusqu’au silence. Le chant désormais se perd dans ce qui est « infiniment mort » – dans le mouvement orphique de sa propre dispersion.
Où en est la nuit ? est peut-être, en effet, la seule question que pourrait poser Orphée. Elle est peut-être la seule qui puisse retracer une expérience de la profondeur, expérience où le corps serait mis en état d’indigence afin de pénétrer des strates épaisses de conscience. En ce sens Hanbleceya apparaît comme la quête la plus achevée de cette « nuit » de la rationalité – nuit qui malgré tout découvre une transe, une profusion onirique. Cette quête implique bien évidemment une violence – violence qui est musicalement prise en charge par les sonorités claquées (encore une fois, jouées pizzicato) et acides de la guitare.
L’appel à la vision est un appel inscrusté de silence, sans cesse interrompu au faîte même de sa violence. Car lorsque « on a senti, dans toute sa fureur le désir d’exister jaillir de ce cœur battant et se répandre tantôt avec le fracas du torrent, et tantôt un murmure de ruisseau, dans toutes les artères du monde, – comment pourrait-on ne pas se briser d’un coup5 ? »
Lauren Sadey
1. « (…) Though nothing can bring back the hour / Of splendour in the grass, / of glory in the flower, / We will grieve not, rather find / Strength in what remains behind. », in. W. Wordsworth Ode : Intimations of Immortality from Recollections of Early Childhood
2. S. Mallarmé, Crise de vers
3. Il s’agit d’une nouvelle allusion à la Crise de vers mallarméenne : Je dis : une fleur! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.
4. Les mots « clôture » et « dissémination » sont de R. Barthes, cf. « De l’œuvre au texte »,
in. Le bruissement de la langue
5. Nietzsche, La naissance de la tragédie
I – Où en est la nuit
Où en est la nuit est né d’un son,
celui d’un silence
inquiet, angoissé
par sa propre disparition.
Le son d’un espace respirant fébrilement dans le creux de la violence humaine.
Ni passé, ni avenir… L’instant.
L’instant de l’instant.
Et des surgissements furtifs, d’objets fuyants sur les chemins de leurs résonances.
Plus d’extérieur, plus d’intérieur.
La confusion des espaces, le dedans s’infiltrant au dehors…
par la brisure.
Puis l’attente,
étai de tout édifice.
Mais toute œuvre est libre.
Elle s’appuie, puis s’échappe.
Avec le sourire narquois d’un diablotin ailé.
Que sont ces coups qui ouvrent Où en est la nuit ?
des battements de cœur cognant sur les parois des arbres calcinés ? Une bombe solitaire emprisonnée dans son écho obstiné ? Un poing fermé pour dire non, sans répit ?
Simple chose oubliée derrière une porte ou dans le recoin d’un souvenir ?
Une simple chose oubliée derrière une porte ou dans le recoin d’un souvenir.
Une bombe solitaire emprisonnée dans son écho obstiné.
Un poing fermé pour dire non, sans répit.
Des battements de cœur cognant sur les parois des arbres calcinés….
L’œuvre est un contenant affamé.
Elle dévore les cicatrices.
Puis s’enfuit…
Dansant sur les craquelures du silence.
Puis son effritement.
Le vide…
Il est à l’esprit ce que le vent est au ciel.
Le vide…
Puis le son
celui de ce silence
inquiet, angoissé
par sa propre disparition.
Le son d’un espace respirant fébrilement dans le creux de la violence humaine.
Ni avenir ni passé…
L’instant.
L’instant de l’instant.
Et des surgissements furtifs, d’objets fuyants sur les chemins de leurs résonances.
Plus d’intérieur, plus d’extérieur.
Mais la confusion des espaces, le dedans s’infiltrant au dehors…
par la brisure.
Puis l’attente…
Zad Moultaka
Le choix de n’avoir connaissance que des titres et dates des compositions en amont de l’audition de cet enregistrement, fut suscité autant par le plaisir de la découverte que par celui de mettre au défi mes facultés d’écoute et d’émotion.
La pertinence jouissive de cet album m’est apparue simultanément par la facture des œuvres, la qualité de la matière et des espaces sonores, la cohérence de l’articulation des pièces entre elles qui mettent en valeur leur caractère propre, tout en créant la dramaturgie d’une musique en trois mouvements.
Où en est la nuit peut s’entendre comme une ouverture dont les sons sourds d’une grosse caisse fusionnant avec les harmoniques du piano suggèrent une sorte de percussion impulsant une danse rituelle qui renvoie à Hanbleceya, inspirée, avec distanciation, des cultures amérindiennes. Elle introduit aussi par son atmosphère et cette pulsation aux sonorités métalliques Fanàriki, hypothèse d’un deuxième mouvement qui s’articule dans une fluidité et parenté esthétique avec le concerto pour guitare.
L’ensemble de ces trois œuvres, d’époques pourtant différentes, crée une identité sonore où se
conjuguent paradoxalement le troublant et l’apaisant.
L’homogénéité acoustique et la qualité musicale constante de l’ensemble du triptyque sont le fruit de l’interprétation remarquable du NEM dirigé par Lorraine Vaillancourt. Ces qualités excluent un laisser-aller dans l’écoute : elles captent et conduisent l’auditeur dans une itinérance musicale attentive.
Il y a « une mystique » dans l’œuvre de Zad Moultaka qui n’est pas de l’ordre du religieux mais inspirée par la Nature et de nombreuses traditions culturelles, où l’Être…humain et sa quête philosophique sont au centre du fait sociétal. C’est du pétrissage et de la métamorphose de cet ensemble d’éléments que le compositeur élabore un langage musical innovant, fertilisant l’imaginaire de l’écoutant.
La rencontre musicale entre Lorraine Vaillancourt, le NEM et Zad Moultaka semble évidente.
Elle est fondée sur des affinités et une exigence artistique et humaine partagées. Une telle exigence dans les processus de réalisation, autant que l’Hybris sont nécessaires à la fabrique de l’art. Cette alchimie complexe, dont les substances sont souvent antinomiques, est affirmée avec délicatesse et discrétion dans cette réalisation.
Cette recherche de perfection agrégée à une écoute amicale attentive m’a séduit dès ma première rencontre avec Lorraine Vaillancourt. Ce fut le début d’un compagnonnage artistique de plus de vingt ans. Bien que plus récente, ma relation avec Zad Moultaka est de même nature.
Cet aspect relationnel pourrait sembler hors sujet dans ce texte. Mais, dans la socioculture des arts, fragilisée et fragilisante, où le doute, l’ego, le narcissisme abondent, il n’est pas simple de concilier enjeux, contraintes professionnelles et partage des sentiments.
Le temps s’écoule inéluctablement ! Ce temps facteur d’érosion, de décantation qui ne laisse subsister que l’essentiel, a sédimenté l’expérience de cette réunion d’artistes, au plus près de la perfection du son et du geste.
Cette édition musicale, par l’écoute des œuvres qu’elle propose, crée un temps suspendu, un agréable et fugitif éloignement du réel …
Raphaël de Vivo
Toute la musique de Zad Moultaka relève de l’ordre du rituel : une dimension à caractère collectif, liée à des gestes ancestraux que le compositeur va sans cesse réactiver pour leur donner un sens et une force démultipliés. Tel ce concerto pour guitare titré Hanbleceya (Implorer le rêve) mettant sur le devant de la scène l’excellent Pablo Marquez, avec un ensemble 2e2m particulièrement soudé et investi. L’Hanbleceya, lit-on dans les notes de programme, est un rite ascétique d’initiation amérindien. Dans cette célébration recréée par Moultaka, l’ensemble instrumental est la chambre d’écho de la guitare, amplifiée certes mais aussi répercutée et démultipliée à travers l’image spectrale d’un Mi où s’origine toute l’écriture. S’active alors un processus d’amplification qui mène à la transe, cette « autre vision » où le chaman – alias Pablo Marquez – quitte momentanément l’état de conscience. Musicalement parlant, c’est un climax signalé par la submersion sonore de l’ensemble instrumental. La seconde phase de l’œuvre, plus fascinante encore, est symétrique de la première, n’étaient ces coups répétés qui ébranlent le sol – les musiciens frappent du pied -, expression des frayeurs mythiques conférant une âpreté et une violence insoupçonnées à ce nouvel espace, « l’espace émotif de la matière » dont parle la musicologue Corinne Schneider dans l’ouvrage Ceux qui écoutent que 2e2m consacre à Zad Moultaka.
zad moultaka (1967) OU EN EST LA NUIT
nouvel ensemble moderne | lorraine vaillancourt | alexandru sura | pablo márquez
Alexandru Sura, cymbalum / Pablo Màrquez, guitare
Nouvel Ensemble Moderne de Montréal
Jocelyne Roy, flûte / Normand Forget, hautbois (2-3)
Julie Sirois-Leclerc,hautbois (1) / Martin Carpentier, clarinette
Simon Aldrich, clarinette / Michel Bettez, basson
Jocelyn Veilleux, cor / Lise Bouchard, trompette
Angelo Muñoz, trombone / Julien Grégoire, percussions
Philip Hornsey, percussions musicien invité (2)
Jacques Drouin, piano / Johanne Morin, violon
Alain Giguère, violon / François Vallières, alto
Julie Trudeau, violoncelle : Yannick Chênevert, contrebasse
Lorraine Vaillancourt, direction
ED13238
3760002130262
1. Où en est la nuit (2013) 13’27
2. à 8. Fanàriki (2004) 22’53
concerto pour cymbalum & ensemble
9. Hanbleceya (2012) 17’20
concerto pour guitare & ensemble
direction artistique
Zad Moultaka
enregistrement
Carlos Prieto, Black Bird Audio
29 & 30 septembre 2012
Salle Claude Champagne
Université de Montréal
& 18 août 2013
Domaine Forget, Québec
montage et mixage
Carlos Prieto, Zad Moultaka
Pierre Luzy, studio Music Unit
notes
Raphaël de Vivo
Lauren Sadey
Zad Moultaka
Catherine Peillon
traductions
John Tyler Tuttle
ligne éditoriale, photographies
& création graphique
Catherine Peillon
Fondé en 1989 par Lorraine Vaillancourt, le Nouvel Ensemble Moderne est un orchestre de chambre dont l’excellence a franchi toutes les frontières. Formé de 15 musiciens aguerris qui proposent une interprétation convaincante des musiques d’aujourd’hui. Son répertoire, nourri aux classiques du XXe siècle, reflète la variété des esthétiques actuelles, s’ouvre à la musique de tous les continents et consacre une place importante à la création.
Le Nouvel Ensemble Moderne est subventionné par le Conseil des Arts du Canada, le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des arts de Montréal.
lorraine vaillancourt direction
Pianiste et chef d’orchestre, Lorraine Vaillancourt est la directrice artistique du Nouvel Ensemble Moderne. Régulièrement invitée par divers ensembles et orchestres prestigieux tant au Canada qu’à l’étranger, elle a par ailleurs suscité, en 1990, la création de la revue nord-américaine CIRCUIT. Lorraine Vaillancourt est membre de la Société Royale du Canada et a reçu un doctorat Honoris Causa de l’Université Laval à Québec en juin 2013. Professeur titulaire à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, elle y dirige l’Atelier de musique contemporaine depuis 1974.
Reconnu comme l’un des meilleurs joueurs de cymbalum en Europe, Alexandru Sura se consacre exclusivement au cymbalum à dix ans. À cette époque, il donne ses premiers concerts en Roumanie, Russie et Moldavie. À 15 ans, il se produit comme soliste avec l’orchestre symphonique de Moldavie et devient, en 2006, professeur de cymbalum à l’Académie de musique, de théâtre et d’arts plastiques de Moldavie. En 2008, Alexandru s’installe à Montréal et participe au Festival International de Jazz de Montréal. Depuis son arrivée, il s’est produit aux côtés d’artistes prestigieux tel que Michel Donato, Marin Nasturica et la violoniste Angèle Dubeau. Il fut aussi soliste invité dans l’opéra Baron Tzigane de Johann Strauss avec l’Orchestre de l’Université de Montréal. En 2011, il participe au Toronto Summer Music Festival.
Dans les œuvres anciennes que dans la riche littérature du XXe et XXIe siècles, ou bien encore dans la musique traditionnelle argentine, Pablo Márquez est l’un des guitaristes les plus sensibles et les plus doués de l’actualité. Son intelligence musicale et sa technicité hors pair en font un créateur recherché par les compositeurs vivants. Il débute la guitare à l’âge de 10 ans, donne son premier concert trois ans plus tard avec orchestre à Salta, ville du nord-ouest de l’Argentine où il grandit et fait ses études. Les prix qu’il remporte à Paris, Rio, Genève et Munich viendront confirmer son envergure artistique hors du commun. Musicien complet, il étudie la Musique Ancienne avec Javier Hinojosa, la direction d’orchestre avec Eric Sobzyck, Rodolfo Fischer et Peter Eötvös, et suit l’enseignement du légendaire pianiste György Sebök, qui marquera profondément son évolution artistique. Résolument au service de la musique contemporaine, il a travaillé en collaboration avec Luciano Berio, Mauricio Kagel et György Kurtág. Ses enregistrements pour ECM New Series, Kairos et Naïve ont reçu de nombreuses récompenses, tels le Grand Prix du Disque de l’Académie Charles Cros, le Prix Amadeus, RTL Classique d’Or, le Neue Musik Zeitung en Allemagne et meilleur CD de musique classique de l’année par Readings en Australie.
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