Morton Feldman
Ronnie Patterson
3 septembre 2002
REF : ED13137
Distinctions : 4F de Télérama (janvier 1) – Choc du Monde de la Musique (janvier 1) – 9 de Répertoire (janvier 1)
1 disque – 2 pistes – Durée totale : 01:19:03
Morton Feldman
Ronnie Patterson
3 septembre 2002
REF : ED13137
Distinctions : 4F de Télérama (janvier 1) – Choc du Monde de la Musique (janvier 1) – 9 de Répertoire (janvier 1)
1 disque – 2 pistes – Durée totale : 01:19:03
» Tous les sons qui arrivent »
Au silence « résultant » de Cage, terre des bruits, des parasitages et du sensible…., Feldman répond par une logique d’embrassement du silence par l’absence d’effet, l’itération, le presque rien, le pianissimo. « Ma musique est dans le silence », disait -il…
L' »art du peu » feldmanien, la charge émotive particulière de sa quasi-monochromie demandent à l’interprète des qualités inhabituelles d’attention, entre humilité et aguet. Un état : une disponibilité entière plus que la virtuosité pourtant indispensable dans une musique se livrant à ce degré d’attendus et d’embûches.
D’après Christian Tarting
Ronnie Lynn Patterson
PIANO (1977)
isrc : FRV630100030
PALAIS DE MARI (1986)
FRV630100031
Pourquoi la musique de Morton Feldman est-elle si difficile à écouter ? On aimerait paraphraser le titre du célèbre article consacré, en 1924, par Berg à Schönberg1 pour, évoquant les reproches que les détracteurs de l’esthétique si nette du compositeur new-yorkais lui font ordinairement (œuvres ennuyeuses, bien trop longues, générées par des procédés compositionnels simplistes, obsessionnellement installées dans les plus faibles niveaux sonores, le presque inaudible, fascinées par l’indigence même des modules mélodiques qui président à leur logique, etc.), dire en quoi ces reproches se trompent d’objet, manifestent l’absence de réelle attention à l’univers, au propos de celui qui, parmi les musiciens restant, quoi qu’il en soit, liés à la tradition occidentale – au poids symbolique qu’elle infère, quant à l’écriture -, a manifesté la plus intime compréhension des positions de son ami très proche et mentor : John Cage. De celui-ci, Morton Feldman aura, très précisément, poussé à terme, dans la tranquille irréductibilité de son mouvement, certaines des «sorties» du texte classique.
Au silence défini de wittgensteinienne façon par Cage comme «tous les sons qui arri- vent», il a fait écho non seulement par son affection pour la ténuité, l’investissement des dynamiques les plus resserrées, les plus modestes – et ceci ne constituant après tout qu’un épiphénomène, presque une pellicule facile du cagisme -, mais encore par un principe foncier de non-intérêt, de refus du démonstratif esthétique, de l’originalité en dernière instance : de ces mises en scène de la complexité trop accolées pour lui au désir d’individualisation, de signature – vieux ordres du Vieux Monde.
Au silence «résultant» de Cage, terre des bruits, des parasitages et du sensible, de l’accident comme principe vital, au silence lieu géométrique de l’accueil, de la non- résolution – du non esthétisé -, Feldman répond d’une logique d’embrassement du silence par l’absence d’effet, l’itération des cellules génératrices dans un piétinement à peine modulé, le presque rien, le pianissimo («Ma musique est dans le silence», disait-il) ; et, corrélativement, ainsi : «Je diffère de mes collègues européens dans la mesure où je n’exige pas de l’œuvre d’art qu’elle soit intéressante.» Le voici bousculant, de la sorte, plus décisivement encore nos catégories bien assises d’usagers du musical. Plus proche que tout de ce sentiment de la fadeur chinois qui préfère la transparence et la duplication à l’action, à la production «neuve», à l’affirmation identitaire2.
Au vrai, Feldman, qui a malicieusement suggéré que sa musique pouvait relever de la parabole – et dont Cage a pu souligner l’importance en proposant de l’appeler «héros» si on ne lui donnait le titre de compositeur -, Feldman l’iréniste provoque, sciemment, l’ennui, pour lui ouverture à l’éveil ou, plus justement, symptôme de l’éveil. Le faire
naître serait son acte majeur de décision – presque le seul, aurait-il pu lui-même soutenir. Grippant sans recours la bande passante du factice, la boucle de manigances de ce qui se donne pour de l’écoute mais, quant à la musique, ne s’en tient qu’à une fréquenta- tion socialisée, superficielle -mise en scène -, l’ennui opère comme un grand coup de bâton zen, portant le corps à réagir et engager la concentration ; c’est le hoquet de qui voudrait aller vite, être séduit-flatté par la diversité, consommer de la différence comme valeur, monnaie culturelle. Que l’on bute sur lui, se cabre à sa présence, et c’est une porte de compréhension qui, irrémédiablement, se ferme. Qu’il soit connu, vécu, enfin accepté, et voilà une dynamique, catalysant très sûrement la méditation, lui dévoilant son espace le plus fertile, celui du détachement intérieur : chance découverte, lentement précisée, éclairée, d’une extase comme implosée, induite par la dissolution progressive des petites agitations de la personne, le shuntage du «bruit de fond» – par l’évasion des terres de lourdeur, et d’abord du roman des crispations du Moi.
Pour qui s’immerge suffisamment longtemps dans la transparence, le «déspectaculaire», la pauvreté revendiquée de la musique de Morton Feldman, un nouvel ordre de perception se fait jour, s’offre à l’esprit, irradie réellement : une sérénité respirée plus que fascinée, un lieu du souffle et du rythme intérieur – retrouvé, primordial -, non de l’hypnose ou de quelque imposition d’ordre, de message, de code que ce soit…
L’art du peu feldmanien, la charge émotive particulière de sa quasi-monochromie de- mandent à l’interprète des qualités inusuelles d’attention, entre humilité et aguet. Un état : une disponibilité entière plus que la virtuosité pourtant indispensable dans une musique se livrant à ce degré d’attendus et d’embûches3. Les interprètes de Feld- man – qui, pour ces raisons, restent rares – le sont tous au sens le plus noble, comme mystique. Ils sont des lecteurs : amis, hérauts d’un monde qu’ils ont fait leur et nous donnent ainsi, dans l’assertion, la tension de la coalescence – l’intensité d’un exercice spirituel. Ronnie Lynn Patterson est – tout comme, au piano, Roger Woodward, Gérard Frémy ou Marianne Schoeder – de ce nombre restreint, vivant en toute force dans un rapport «sans dépendance, sans épisode» à celui qui considérait que la concentration était, dans l’acte compositionnel, autrement plus importante que l’organisation des hauteurs ou toute autre approche conceptuelle et qui, pour en mesurer le degré effectif, avait choisi d’écrire ses partitions directement à l’encre, interrompant son travail à la première rature.
Christian Tarting
1. «Pourquoi la musique de Schönberg est-elle si difficile à comprendre ?», in Alban Berg, Écrits, traduits de l’allemand et commentés par Henri Pousseur, Monaco, Éditions du Rocher, coll. «Domaine musical», 1957, pp. 65-92.
2. Cf. François Jullien, Éloge de la fadeur. À partir de la pensée et de l’esthétique de la Chine, Arles, Philippe Picquier, 1991.
3. Dans la (très) grande page pour piano de 1981, Triadic Memories, il s’agit ainsi de faire entendre toutes les valeurs de suspension comme ayant leur caractère, leur identité propre au cœur d’un bâti très «rigide», armé de figures en quartolets qu’elles séparent et qui se donnent en un absolu jansénisme dynamique (l’intensité du jeu doit rester ppp durant les quelque deux heures et demie que dure l’œuvre). La différentielle du silence se règle alors du soupir au demi-soupir double-pointé en n’omettant aucune de ses occurrences intermédiaires.
(De vifs remerciements à Christian Le Mellec pour nous avoir permis de reprendre l’essentiel d’un article publié dans le n° 3 de Sorgue)
La Musique de Morton Feldman 1926-1987 par R. L. Patterson
« La douceur de la musique de Morton Feldman était la raison essentielle de mon contact avec l’univers de ce compositeur unique et génial. Son univers dévoile tout naturellement des traits de sa personnalité pour moi, une certaine solitude, la générosité, un désespoir, de l’amour et la tristesse. Toutes les qualités me touchent profondément. Paradoxal, car Feldman était connu comme quelqu’un de joyeux, généreux, chaleureux et doté d’un impressionnant sens de l’humour. Avant d’avoir découvert la musique de Morton Feldman, je sentais à l’intérieur de moi-même le besoin d’aborder le piano autrement. Un toucher très doux, des harmonies plus recherchées, élaborées mais intenses et une sensibilité extrême. C’est là vraiment où j’ai rencontré Morton Feldman : un connaisseur d’art, de musique, de cuisine, des femmes, tout ce que j’aime tant. »
REF : ED13137 – NT099
EAN : 7:42495313721
Né le 12 janvier 1926 à New York, Morton Feldman étudie le piano avec Vera Maurina-Press, disciple de Busoni à qui il dédiera Madame Press Died Last Week at Ninety (1970). Ses premières compositions sont influencées par Scriabine. Il commence ses études de composition et de contrepoint avec Wallingford Riegger, l’un des premiers défenseurs du dodécaphonisme schoenbergien aux Etats-Unis (1941), et à partir de 1944 il est l’élève de Stephan Wolpe.
Sa rencontre avec John Cage en 1949 va être déterminante. leur collaboration artistique marque la musique américaine de cette période. Il est ami du poête Franck O’Hara, du pianiste David Tudor, des compositeurs Earle Brown et Christian Wolff, des peintres Mark Rothko, Philip Guston, Franz Kline, Jackson Pollock et Robert Rauschenberg, dont les noms jalonnent les titres de nombreuses compositions.
Il est nommé professeur à l’Université de New York / Buffalo (1973-1987), où il occupe la chaire Edgar Varèse, et directeur du Center for Creative and Performing Arts. Entre 1984 et 1986 il enseigne aux Ferienkurse für Neue Musik de Darmstadt.
En juin 1987, Morton Feldman se marie avec la compositrice Barbara Monk. Il meurt le trois septembre 1987.
Ronnie Lynn Patterson
Né en 1958 au Kansas, il passe sa jeunesse entre le Mississipi et Madrid. A 7 ans, alors que son père le réveille la nuit pour partager son émotion à l’écoute d’Ornette Coleman, John Coltrane et Miles Davis, il choisit la batterie qui le guidera jusqu’à l’orée de ses 20 ans où il commence l’étude du piano. Il s’installe alors à Washington. Autodidacte dans l’art de la caresse des touches, il travaille d’arrache-pied pour parvenir à se faire entendre. De cette période il garde de bons souvenirs, notamment deux mois passés à Puerto Rico auprès des salseros et d’une tournée très funky avec Gary Grainger.
En 1991 il réalise un rêve : venir à Paris. Tombé amoureux de la langue de Satie, dès son adolescence, il parle déjà français et espagnol à son arrivée dans la ville-lumière, qu’il ne quittera plus. Là en même temps qu’il découvre et joue avec les musiciens de la scène jazz française, il enrichit son répertoire aux sources fécondes de Morton Feldman et Rachmaninov.
En 1997 c’est la l’étude approfondie de piano et du Palais de Mari qui l’amène à la maturité et le décide à écrire ses propres compositions.
En 1999, Aldo Romano l’invite à enregistrer Comers (label bleu) et à tourner avec lui. Il joue avec Henri Texier et rencontre Charles Lloyd (ECM). En 2000 il crée un trio autour d’un projet très personnel : Portraits and diary. Oscillant encore aujourd’hui entre jazz et musique contemporaine, il poursuit une carrière discrète, foisonnante, lumineuse. Il enregistre ici son premier disque chez l’empreinte digitale.
Enregistrer